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ce phénomene on n’apperçoit rien qui favorise la matiere congelante. Tout paroît dépendre de la figure, quelle qu’elle soit, des parties intégrantes de l’eau, & de la maniere dont la force de cohésion agit sur ces particules pour leur leur faire prendre un certain arrangement déterminé. Un liquide autrement conformé & sur lequel l’attraction agira d’une autre maniere, se gelera par pelotons, comme on l’observe dans les huiles ; les sels n’affectent-ils pas différentes figures dans leurs crystallisations ? Si l’on demande pourquoi les filets de glace tiennent d’ordinaire par un de leurs bouts aux parois du vase qui les renferme, nous répondrons que tout corps flottant sur l’eau dans un vase qui n’est pas plein, va s’attacher de lui-même aux parois du vaisseau, si ces parois sont de nature à être mouillées par l’eau ; & ce qui prouve la justesse de cette explication, c’est que l’adhésion des filets de glace aux parois du vase disparoît absolument, quand on a frotté le dedans du vaisseau d’huile, de suif ou de quelqu’autre matiere qui s’unit difficilement avec l’eau.

L’eau qui se gele à mesure que les parties se rapprochent, se dessaisit de l’air qu’elle contient en grande quantité ; une partie de cet air s’échappe à-peu-près comme l’eau sort d’une éponge mouillée que l’on presse.

Ce qui reste d’air dans l’eau glacée s’y rassemble en différentes bulles ; c’est un air, pour ainsi dire, extravasé, dont la masse de glace est entre-coupée.

L’air ne sauroit se développer de la sorte sans augmenter son volume ; avant ce développement il étoit comme dissous dans l’eau : or on sait que du sel, par exemple, dissous dans l’eau, y tient moins de place que du sel en masses sensibles.

L’air caché dans l’eau & intimement mêlé avec elle, y est sans ressort ; en se dégageant il reprend son élasticité, autre cause de dilatation.

De tout ceci on infere naturellement, que quoiqu’il soit sorti beaucoup d’air de l’eau prête à se geler, ce qui reste dégagé & en masse doit y occuper plus de place que le tout n’en occupoit quand il y étoit dissous, & qu’ainsi le volume de l’eau glacée en doit être augmenté.

La force qui rassemble l’air en bulles est très-considérable ; elle est absolument la même que la force de cohésion qui unit les particules d’eau, & qui est très-supérieure à la pesanteur : le ressort qui se rétablit dans l’air à mesure qu’il se dégage, est aussi très actif & très-puissant. De ces deux causes réunies suit la rupture des vaisseaux où la glace est contenue.

Cette explication, qui est celle d’un très-grand nombre de physiciens, ne laisseroit rien à desirer, si la glace faite avec de l’eau purgée d’air se trouvoit aussi pesante que l’eau même, ce qui n’arrive jamais ; mais nous avons vû que toute glace contient des bulles d’air, quelque soin qu’on ait pris de l’en purger. De plus la glace faite avec de l’eau privée d’air autant qu’il est possible, est sensiblement plus pesante que la glace ordinaire, ce qui affoiblit beaucoup la difficulté.

Ceux qui admettent la matiere congelante, prétendent que cette matiere s’introduisant dans les pores de l’eau, augmente le volume de ce fluide. Il semble que cette autre explication ne doit avoir lieu, que supposé qu’on ne puisse pas déduire d’ailleurs le phénomene dont il est ici question.

En l’attribuant seulement en partie à l’air rassemblé en bulles, ne peut-on pas soupçonner en même tems que les parties intégrantes de l’eau qui se gele, se disposent dans un ordre différent de celui qu’elles observoient avant la congelation ? Selon cette idée, il faudroit reconnoître dans la glace une nouvelle sorte d’aggrégation, pour parler le langage des Chimistes : ceci au reste n’est pas difficile à concevoir. La chaleur qui portée à un certain degré,

maintient l’eau dans l’état de liquidité, ne tend pas seulement à desunir les parties intégrantes de ce fluide ; elle peut encore altérer facilement la direction de leur tendance mutuelle : il ne faudra donc qu’un refroidissement pour rendre à ces différentes molécules la liberté de s’arranger conformément à cette tendance qui leur est propre. Or pourquoi, en vertu de cette tendance, ces molécules ne s’uniroient-elles pas de maniere qu’en adhérant plus fortement les unes aux autres par certaines portions de leurs surfaces, elles laisseroient entr’elles d’un autre côté des intervalles plus considérables que ceux qui les séparoient dans l’état de liquidité ? M. de Mairan regarde comme une preuve assez forte de tout ce qu’on vient d’avancer, la constance des filets de glace à s’assembler sous différens angles, principalement sous des angles de 60 degrés : on peut consulter la seconde partie de sa dissertation sur la glace. Un plus grand détail sur ce sujet nous meneroit loin, & nous devons nous resserrer.

Contentons-nous de remarquer, 1°. que l’augmentation de volume de l’eau glacée n’est point proprement une suite de l’action immédiate du froid ; ce n’est que par accident que le froid y contribue, & à raison seulement de certaines circonstances particulieres.

2°. Que la dilatation de l’air reuni en bulles dans la glace, & peut-être aussi une certaine tendance propre aux particules intégrantes de l’eau, semblent être les principales causes de ce phénomene.

3°. Que si on n’observe pas la même chose dans les huiles, c’est sans doute par le défaut d’une tendance de cette nature, & parce que l’air qu’elles contiennent se dégage & s’échappe avec plus de facilité.

4°. Que la matiere congelante paroît inutile pour l’explication des phénomenes dont nous avons donné le détail ; qu’ainsi la congelation ne dépend probablement que du refroidissement d’un liquide & de la cohésion de ses parties, qui s’accroît toûjours à mesure que la chaleur diminue.

Selon cette idée, la congelation & le dégel sont deux effets beaucoup plus communs qu’on ne pourroit d’abord l’imaginer ; on les découvre dans toute la nature : la fonte d’un métal occasionnée par la chaleur est un dégel ; la dureté qui survient à ce métal fondu en conséquence du refroidissement de ses parties, est une véritable congelation. Nul corps n’est essentiellement solide ou fluide : la solidité & la fluidité sont deux états différens & successifs d’un même corps ; l’eau est une glace fondue par la chaleur ; la glace une eau que le froid a fixée en un corps dur : comme tous les corps ne se fondent pas au même degré de chaleur, de même aussi tous les liquides ne se gelent pas au même degré de froid. Si certains fluides comme le mercure ne se gelent jamais, c’est sans doute parce qu’on n’a pas observé jusqu’ici un froid suffisant pour les glacer.

Nous avons vû à l’article Gelée, que la glace se formoit dans tous les pays au même degré de froid, en faisant abstraction de certaines circonstances que nous allons indiquer : cela seul est un grand préjugé que la congelation est une suite du simple refroidissement.

2°. Des phénomenes de la congélation relativement à l’état & aux circonstances où se trouve l’eau qui se gele. Ce que l’expérience & l’observation nous apprennent à ce sujet se réduit aux points suivans :

1°. L’eau qu’on a fait bouillir ne gele pas plus promptement que d’autre eau qui n’a point été altérée par l’ébullition ; on a cru long-tems le contraire sans beaucoup de fondement.

2°. Le mouvement translatif de l’eau augmentant en quelque maniere sa fluidité, apporte toûjours du