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intérieurement par de bonnes pensées, de saints desirs, des résolutions pieuses, &c.

4°. En grace donnée gratuitement & grace qui rend agréable a Dieu, ou, comme s’expriment les Théologiens, gratia gratis data, & gratia gratum faciens : par gratia gratis data, ils entendent un don surnaturel que Dieu confere à quelqu’un pour le salut & la sanctification des autres, quoique en vertu de ce don il n’opere pas toûjours la sienne propre : tels sont le don des langues, le don des miracles, le don de prophétie, &c. Par gratia gratum faciens, ils entendent un don surnaturel destiné primitivement & par sa nature à la sanctification & au salut de celui qui le reçoit, & le rendant agréable aux yeux de Dieu.

5°. Cette derniere se divise en grace habituelle & en grace actuelle. La grace habituelle est celle qui réside dans l’ame comme une qualité inhérente, fixe & permanente, à-moins que le péché mortel ne l’en chasse ; elle se subdivise en grace sanctifiante ou justifiante, vertus infuses & dons du S. Esprit.

La grace sanctifiante ou justifiante est celle par laquelle l’homme devient formellement juste, reçoit la justice comme une forme : on a emprunté cette expression de la philosophie d’Aristote.

La grace actuelle est celle qui est accordée par maniere d’acte ou de motion passagere pour faire quelque bonne œuvre particuliere, comme de résister à telle ou telle tentation, accomplir tel ou tel précepte.

Dans toutes les contestations qui divisent les Théologiens sur la doctrine de la grace, c’est de l’actuelle qu’il est question.

6°. Cette grace actuelle se divise en grace d’entendement & grace de volonté. La grace d’entendement est une illustration intérieure de l’esprit : la grace de volonté est un mouvement indélibéré & immédiat que Dieu opere dans la volonté. La grace actuelle, au-moins depuis le péché d’Adam, affecte ces deux facultés à cause des ténebres dont l’entendement est obscurci, & qui demandent qu’il soit éclairé, & de la foiblesse que le péché du premier homme a mis dans la volonté, & qui exige un secours d’en haut pour le porter au bien.

Cette distinction, comme on voit, suppose celle qu’on a établie entre l’entendement & la volonté, & qui paroît, à quelques égards, précaire & nominale.

7°. La grace actuelle, entant qu’elle renferme ces deux qualités, se divise en grace opérante & co-opérante, prévenante & subséquente, existante & aidante ; termes que les Théologiens expliquent différemment selon les divers systèmes qu’ils embrassent sur la grace. On peut dire que la grace opérante, prévenante, & existante, est la même chose dans le fond ; & la définir une illustration soudaine de l’entendement, & une motion indélibérée de la volonté que Dieu opere en nous sans nous, afin que nous voulions & que nous fassions le bien surnaturel : de même la grace co-opérante, subséquente, & aidante, est la même chose dans le fond ; & on la définit un concours surnaturel par lequel Dieu agit avec nous pour produire tous & chacun des actes surnaturels & libres dans l’ordre du salut.

8°. La grace opérante ou existante se divise en grace efficace & en grace suffisante. La grace efficace est celle qui opere certainement & infailliblement le consentement de la volonté & à laquelle cette volonté ne résiste jamais quoiqu’elle ait un pouvoir prochain & réel de lui résister. La grace suffisante est celle qui donne à la volonté des forces proportionnées pour faire le bien, mais dont la volonté n’use pas toûjours.

La grace, son opération, sa nécessité, son accord avec la liberté de l’homme, étant des mysteres in-

compréhensibles à notre foible raison, il n’est pas

étonnant qu’il y ait eu sur tous ces points des opinions opposées ; les plus considérables sont celles des Pélagiens, des Sémi-Pélagiens, des Arminiens, des Molinistes, des Congruistes, &c. d’une part ; & de l’autre des Prédestinatiens, des Wiclesistes, des Luthériens, des Calvinistes rigides ou Gomaristes, de Baius, de Jansenius, des Augustiniens, des Thomistes, &c. Voyez ces articles.

La dispute entre les défenseurs de ces différentes opinions roule principalement sur la nécessité & l’efficacité de la grace.

Les Pélagiens & les Sémi-Pélagiens sont en opposition avec tous les autres sur cet article, les premiers refusant de reconnoître aucune espece de grace intérieure, & ceux-ci niant la nécessité de la grace pour le commencement de la foi & des œuvres. Selon les théologiens qui ont écrit depuis la bulle d’Innocent X contre le livre de Jansénius, S. Augustin n’a disputé contre ces hérétiques que pour les obliger de reconnoître cette nécessité qu’ils nioient : en convenant que c’est-là l’objet principal de S. Augustin, il faut avouer que chemin faisant il enseigne aussi l’efficacité de la grace, d’une maniere très-forte ; que sans doute les Semi-Pelagiens en niant la nécessité de la grace pour le commencement des œuvres & de la foi, croyoient encore que celle qu’ils admettoient étoit versatile ; & que S. Augustin combat cette opinion.

La doctrine catholique enseigne que la grace intérieure prévient la volonté, & que par conséquent elle est nécessaire pour le commencement de la foi & des œuvres, & que l’homme ne peut rien sans elle dans l’ordre du salut.

Les Pélagiens & les Sémi-Pélagiens mis à part, les défenseurs des autres opinions sont principalement divisés sur l’efficacité de la grace.

Les vérités catholiques sur cette matiere, sont 1°. qu’il y a des graces efficaces par lesquelles Dieu sait triompher de la résistance du cœur humain, sans préjudice de la liberté : 2°. qu’il y a des graces suffisantes auxquelles l’homme résiste quelquefois.

Mais on dispute fortement sur la question d’où naît l’efficacité de la grace ; est-ce du consentement de la volonté, ou bien est-elle efficace par elle-même ? c’est à ces deux opinions qu’il faut réduire la multitude de celles qui partagent les Théologiens. Les principaux systèmes sur cette matiere sont ceux des Thomistes, des Augustiniens, des Congruistes, des Molinistes, & du P. Thomassin.

Les Thomistes prétendent qu’on doit tirer l’efficacité de la grace de la toute-puissance de Dieu & du souverain domaine qu’il a sur les volontés des hommes ; ils la définissent une grace qui de sa nature prévient le libre consentement de la volonté, & opere ce consentement, en appliquant physiquement la volonté à l’acte, sans gêner ou détruire pour cela la liberté : selon eux, elle est absolument nécessaire pour agir, dans quelque état que l’on considere l’homme ; avant le péché d’Adam, à titre de dépendance ; après le péché d’Adam & à titre de dépendance, & à titre de foiblesse que la volonté de l’homme a contractée par ce pêche. Ils l’appellent aussi prémotion physique. Voyez Prémotion.

Les Augustiniens soûtiennent que l’efficacité de la grace prend sa source dans la force d’une délectation victorieuse absolue, qui emporte par sa nature le consentement de la volonté : selon eux, la grace efficace est celle qui prévient physiquement la volonté, mais qui n’en opere le consentement que par une prémotion morale. Ils sont partagés sur sa nécessité, les uns voulant que pour tout acte surnaturel & méritoire il faille une grace efficace par elle-même ; les autres, comme le cardinal Norris, distinguant les œuvres