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cùm ad episcopum Simplicianum scriberem, revelavit. S. Augustin, lib. de præd. sanct. c. jv.

Grace, (Droit politiq.) pardon, rémission, accordée par le souverain à un ou à plusieurs coupables.

Le droit de faire grace est le plus bel attribut de la souveraineté. Le prince, loin d’être obligé de punir toûjours les fautes punissables, peut faire grace par de très-bonnes raisons ; comme, par exemple, s’il revient plus d’utilité du pardon, que de la peine ; si le coupable ou les coupables ont rendu de grands services à l’état ; s’ils possedent des qualités éminentes ; si certaines circonstances rendent leurs fautes plus excusables ; s’ils sont en grand nombre ; s’ils ont été séduits par d’autres exemples ; si la raison particuliere de la loi n’a point lieu à leur égard : dans tous ces cas & autres semblables, le souverain peut faire grace, & il le doit toûjours pour le bien public, parce que l’utilité publique est la mesure des peines ; & lorsqu’il n’y a point de fortes raisons au souverain de faire la grace entiere, il doit pencher à modérer sa justice.

A plus forte raison, le prince dans une monarchie ne peut pas juger lui-même ; s’il le vouloit, la constitution de l’état seroit détruite : les pouvoirs intermédiaires dépendans seroient anéantis ; la crainte s’empareroit de tous les cœurs ; on verroit la pâleur & l’effroi sur tous les visages, & personne ne sauroit s’il seroit absous, ou s’il recevroit sa grace : c’est une excellente remarque de l’auteur de l’esprit des lois. Lorsque Louis XIII. ajoûte-t-il pour la confirmer, voulut être juge dans le procès du duc de la Valette, le président de Bellievre déclara, « qu’il voyoit dans cette affaire une chose inoüie, un prince songer à opiner au procès d’un de ses sujets ; que les rois ne s’étoient reservés que les graces, & renvoyoient toûjours les condamnations vers leurs officiers : votre majesté, continua-t-il, voudroit-elle voir sur la sellette un homme devant elle, qui par son jugement iroit dans une heure à la mort ? que bien au contraire, la vûe seule des rois portoit les graces, & levoit les interdits des églises ». Concluons que le throne est appuyé sur la clémence comme sur la justice. Voyez-en les preuves au mot Clémence.

La rigueur de la justice est entre les mains des juges ; la faveur ou le droit de pardonner appartient au monarque ; s’il punissoit lui-même, son aspect seroit terrible ; si sa clémence n’avoit pas les mains liées, son autorité s’aviliroit. Il faut, je l’avoue, des exemples de sévérité pour contenir le peuple ; mais il en faut également de bonté pour affermir le throne. Si le monarque ne se fait pas aimer, il ne regnera pas long-tems, ou son long regne ne sera que plus détesté. (D. J.)

Grace, (Jurisp.) Les dons & brevets, pensions, priviléges accordés par le prince, sont des graces qui doivent toûjours être favorablement interprétées, à-moins qu’elles ne fassent préjudice à un tiers.

Grace, en matiere criminelle, se prend en général pour toutes lettres du prince qui déchargent un accusé de quelque crime, ou de la peine à laquelle il auroit été sujet. On se servoit autrefois de ce terme grace dans le style de chancellerie ; mais présentement on dit abolition, rémission, & pardon : & quoique ces termes paroissent d’abord synonymes pour signifier grace, ils ont cependant chacun leur signification propre. Abolition est lorsque le prince efface le crime & en remet la peine, de maniere qu’il ne reste aux juges aucun examen à faire des circonstances. Rémission est lorsqu’il remet seulement la peine : ces lettres s’accordent pour homicide involontaire, ou commis par la nécessité d’une légitime défense de la vie. Les lettres de pardon s’accordent dans les cas

où il n’échet pas peine de mort, & qui néanmoins ne peuvent pas être excusés.

Il n’appartient qu’au roi de donner des graces.

Néanmoins anciennement plusieurs seigneurs & grands officiers de la couronne, s’étoient arrogé le droit d’en donner ; tels que le connétable, les maréchaux de France, le maître des arbalêtriers, & les capitaines ou gouverneurs des provinces ; ce qui leur fut d’abord défendu par Charles V. alors régent du royaume, par une ordonnance du 13 Mars 1359. Cette défense fut réitérée pour toutes sortes de personnes par Louis XII. en 1499.

Le chancelier de France les accorde, mais c’est toûjours au nom du roi. Ce privilége fut accordé au chancelier de Corbie par Charles VI. le 13 Mars 1401. Les lettres portent, qu’en tenant les requêtes générales avec tel nombre de personnes du grand-conseil qu’il voudra, il pourra accorder des lettres de grace en toute sorte de cas, & à toutes sortes de personnes.

Suivant l’ordonnance de 1670, les lettres d’abolition, celles pour ester à droit après les cinq ans de la contumace, de rappel de ban ou de galeres, de commutation de peine, réhabilitation du condamné en ses biens & bonne renommée, & de révision de procès, ne peuvent être scellées qu’en la grande chancellerie.

Les lettres de rémission qui s’accordent pour homicide involontaire, ou commis dans la nécessité d’une légitime defense de la vie, peuvent être scellées dans les petites chancelleries.

On peut obtenir grace par un simple brevet, & sans qu’il y ait dans le moment des lettres de chancellerie ; savoir, quand les rois font leur entrée pour la premiere fois, après leur avénement à la couronne, ils ont coûtume de donner grace à tous les criminels qui sont détenus dans les prisons de la ville où le roi fait son entrée : mais si les criminels ne levent pas leurs lettres en chancellerie six mois après la date du brevet du grand-aumônier, ils en sont déchûs.

Le roi accorde aussi quelquefois de semblables graces à la naissance des fils de France, & aux entrées des reines. Lorsque Charles VI. établit le duc de Berri son frere, pour son lieutenant dans le Languedoc en 1380, il lui donna, entre autres choses, le pouvoir d’accorder des lettres de grace.

Louis XI. permit aussi à Charles duc d’Angoulême d’en donner une fois dans chaque ville où il feroit son entrée.

Mais aucun prince n’a ce droit de son chef ; & quelqu’étendue de pouvoir que nos rois accordent dans les apanages aux enfans de France, le droit de donner des lettres de grace n’y est jamais compris. Louise de Savoie ayant obtenu le privilége de donner des lettres de grace dans le duché d’Anjou, s’en départit, ayant appris que le parlement de Paris avoit délibéré de faire au roi des remontrances à ce sujet.

Il est quelquefois arrivé que dans les facultés des légats envoyés en France par la cour de Rome, on a inséré le pouvoir d’abolir le crime d’hérésie dont les accusés pourroient être prévenus. Les parlemens ont toûjours rejetté ces sortes de clauses. Le cardinal de Plaisance légat, ayant en l’année 1547 donné des lettres de grace à un clerc qui avoit tué un soldat ; par arrêt du 5 Janvier 1548, il fut dit qu’il avoit été mal, nullement & abusivement procédé à l’entérinement de telles lettres par le juge ecclésiastique, & que nonobstant ces lettres, le procès seroit fait & parfait à l’accusé.

Les évêques d’Orléans donnoient autrefois des lettres de grace à tous les criminels qui venoient se rendre dans les prisons d’Orléans lors de leur entrée solennelle à Orléans : il ne s’en trouva d’abord que