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lions de septiers de blé peuvent procurer au Roi, conformément aux deux sortes de culture qui les produisent : nous examinerons aussi ce qu’on en retire pour la dixme, pour le loyer des terres, & pour le gain du cultivateur ; nous comparerons ensuite ces revenus avec ceux que produiroit le rétablissement parfait de notre agriculture, l’exportation étant permise ; car sans cette condition, nos récoltes qui ne sont destinées qu’à la consommation du royaume, ne peuvent pas augmenter, parce que si elles étoient plus abondantes, elles feroient tomber le blé en non-valeur ; les cultivateurs ne pourroient pas en soûtenir la culture, les terres ne produiroient rien au Roi ni aux propriétaires. Il faudroit donc éviter l’abondance du blé dans un royaume où l’on n’en devroit recueillir que pour la subsistance de la nation. Mais dans ce cas, les disettes sont inévitables, parce que quand la récolte donne du blé pour trois ou quatre mois de plus que la consommation de l’année, il est à si bas prix que ce superflu ruine le laboureur, & néanmoins il ne suffit pas pour la consommation de l’année suivante, s’il survient une mauvaise récolte : ainsi il n’y a que la facilité du débit à bon prix, qui puisse maintenir l’abondance & le profit.

Etat de la grande culture des grains. La grande culture est actuellement bornée environ à six millions d’arpens de terre, qui comprennent principalement les provinces de Normandie, de la Beauce, de l’Isle-de-France, de la Picardie, de la Flandre françoise,

du Hainault, & peu d’autres. Un arpent de bonne terre bien traité par la grande culture, peut produire 8 septiers & davantage, mesure de Paris, qui est 240 livres pesant ; mais toutes les terres traitées par cette culture, ne sont pas également fertiles ; car cette culture est plûtôt pratiquée par un reste d’usage conservé dans certaines provinces, qu’à raison de la qualité des terres. D’ailleurs une grande partie de ces terres est tenue par de pauvres fermiers hors d’état de les bien cultiver : c’est pourquoi nous n’avons évalué du fort au foible le produit de chaque arpent de terre qu’à cinq septiers, semence prélevée. Nous fixons l’arpent à 100 perches, & la perche à 22 piés[1].

Les six millions d’arpens de terre traités par cette culture entretiennent tous les ans une sole de deux millions d’arpens ensemencés en blé ; une sole de deux millions d’arpens ensemencés en avoine & autres grains de Mars ; & une sole de deux millions d’arpens qui sont en jacheres, & que l’on prépare à apporter du blé l’année suivante.

Pour déterminer avec plus d’exactitude le prix commun du blé dans l’état actuel de la grande culture en France, lorsque l’exportation est défendue, il faut faire attention aux variations des produits des récoltes & des prix du blé, selon que les années sont plus ou moins favorables à nos moissons.


ANNÉES Septiers Prix Total Frais Reste
par arpent. du septier. par arpent. par arpent. par arpent.

Abondante 7 liv. 10 liv. 70 liv. 60 liv.[2] 10 liv.
Bonne 6 12 72 12
Moyenne 5 15 75 15
Foible 4 20 80 20
Mauvaise 3[3] 30 90 30
——— ——— ——— ———
Total pour les cinq années[4] 25 87 387 87

Les 87 liv. total des cinq années, frais déduits, divisées en cinq années, donnent par arpent 17 liv. 8 s. de produit net.


Ajoûtez à ces 17 liv. 8 s.
Les frais montant à 60

Cela donnera par chaque arpent au total 77 liv. 8 s.

Les cinq années donnent 25 septiers, ce qui fait cinq septiers année commune. Ainsi pour savoir le prix commun de chaque septier, il faut diviser le total ci-dessus par 5, ce qui établira le prix commun de chaque septier de blé à 15 liv. 9 s.

Chaque arpent produit encore la dixme, qui d’abord a été prélevée sur la totalité de la récolte, & qui n’est point entrée dans ce calcul. Elle est ordi-

nairement le treizieme en-dedans de toute la récolte ou le douzieme en-dehors. Ainsi, pour avoir le produit en entier de chaque arpent, il faut ajoûter à 77 liv. 8 s. le produit de la dixme, qui se prend sur le total de la récolte, semence comprise. La semence évaluée en argent est 10 liv. 6 s. qui avec 77 liv. 8 s. font 87 liv. 14 s. dont pris en-dehors pour la dixme, est 7 livres. Ainsi avec la dixme le produit total, semence déduite, est 84 liv. 16 s.

Ces 84 liv. 16 s. se partagent ainsi :

Pour la dixme 7 liv. 84 liv. 8 s.
Pour les frais 60
Pour le produit net 17 liv. 8 s.

La culture de chaque arpent qui produit la récolte en blé, est de deux années. Ainsi le fermier paye deux années de fermage sur les 17 liv. 8 s. du produit net de cette récolte ; il doit aussi payer la taille sur cette même somme, & y trouver un gain pour subsister.

Elle doit donc être distribuée à-peu-près ainsi :

Pour le propriétaire ou 10 7 7 17 8
Pour la taille ou 3 9 6
Pour le fermier ou 3 9 6[5]
  1. C’est un cinquieme plus par arpent, que la mesure de l’arpent donnée par M. de Vauban ; ainsi les récoltes doivent produire, selon cette mesure, un cinquieme de plus de grain que cet auteur ne l’a estimé par arpent.
  2. Voyez le détail de ces frais, aux articles Fermiers & Fermes.
  3. Le prix commun réglé, comme on fait ordinairement, sur les prix différens des années, sans égard aux frais, & au plus ou moins de récolte chaque année, n’est un prix commun que pour les acheteurs qui achetent pour leur subsistance la même quantité de blé chaque année. Ce prix est ici le cinquieme de 87 liv. qui est 17 liv. 8 s. C’est à-peu-près le prix commun de la vente de nos blés à Paris depuis long-tems ; mais le prix commun pour les fermiers, qui sont les vendeurs, n’est qu’environ 15 liv. 9 sols, à cause de l’inégalité des récoltes.
  4. On ne parle point ici des années stériles, parce qu’elles sont fort rares, & que d’ailleurs on ne peut déterminer le prix qu’elles donnent aux blés.
  5. Nous ne nous reglons pas ici sur l’imposition réelle de la taille ; nous supposons une imposition qui laisse quelque profit au fermier, & un revenu au propriétaire, qui soûtienne un peu les richesses de la nation & l’entretien des terres.