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des arbres, relativement aux méthodes des Botanistes, dont les systèmes en plusieurs cas sont peu d’accord avec les résultats de la greffe. Ce petit art est ce que l’on a imaginé de plus ingénieux pour la perfection de la partie d’Agriculture qui en fait l’objet ; & cette partie s’étend principalement sur tous les arbres fruitiers. Par le secours de la greffe on releve la qualité des fruits, on en perfectionne le coloris, on leur donne plus de grosseur, on en avance la maturité, on les rend plus abondans, enfin on change dans plusieurs cas le volume que les deux arbres auroient dû prendre naturellement. Mais on ne peut créer d’autres especes : si la nature se soûmet à quelques contraintes, elle ne permet pas qu’on l’imite. Tout se réduit ici à améliorer ses productions, à les embellir & à les multiplier ; & ce n’est qu’en semant les graines, en suivant ses procédés, qu’on peut obtenir des variétés ou des especes nouvelles ; encore faut-il pour cela tout attendre du hasard, & rencontrer des circonstances aussi rares que singulieres.

On se dispensera de faire ici l’énumération de tous les arbres qui peuvent se greffer les uns sur les autres, & des sujets qui conviennent le mieux à chaque espece d’arbre ; parce qu’il en sera fait mention à l’article de chaque arbre en particulier. Venons à l’explication des différentes méthodes de greffer, qui sont la greffe en fente, la greffe en couronne, la greffe à emporte-piece, la greffe en flûte, la greffe en approche, & la greffe en écusson.

Greffe en fente ; c’est la plus ancienne façon de greffer : on en fait usage sur-tout pour les fruits à pepin. On peut l’appliquer sur des sujets qui ayent depuis un pouce jusqu’à six de diametre ; mais pour la sûreté du succès le moindre volume doit prévaloir, quoiqu’il y ait exemple d’avoir vû réussir cette greffe sur des sujets de trois piés de pourtour, sur lesquels on avoit inséré des greffes d’un pouce & demi de diametre : mais quand les arbres sont si gros, il vaut mieux les greffer sur leurs branches moyennes. Le tems propre à faire cette greffe est depuis le commencement du mois de Février, jusqu’à ce que la seve soit en action, au point de faire ouvrir les boutons ou de faire détacher l’écorce. Il faut éviter la pluie, le hâle & l’ardeur du soleil. La greffe proprement dite doit être choisie sur des arbres vigoureux & de bon rapport, où il faudra couper des branches de la derniere pousse qui soient bien saines & disposées à se mettre à fruit ; à la différence des branches gourmandes & de faux bois, qui ne conviennent nullement à faire des greffes. On peut faire provision de bonnes branches, & les couper quelque tems avant de s’en servir ; il faudra dans ce cas les laisser de toute leur longueur & les couvrir de terre jusqu’à moitié dans un lieu frais & à l’ombre, où on pourra les garder pendant un mois ou deux. Elles n’en seront que mieux disposées à prospérer : ces branches se trouvant privées de la nutrition de seve, ne se soûtiennent à la faveur de l’humidité de la terre, que dans un état de médiocrité ; mais elles se relevent vivement dès qu’elles se trouvent appliquées sur des sujets vigoureux, dont elles tirent un suc nourricier plus analogue : par ce moyen encore on prolonge le tems de greffer, par la raison que ces branches reçoivent plûtard l’impression des premieres chaleurs, qui mettent la seve en mouvement au printems.

Cette maniere de greffer exige plus d’attirail qu’aucune autre ; il faut une scie pour couper le tronc du sujet, un greffoir pour entr’ouvrir la fente, un fort couteau de cinq ou six pouces de lame pour fendre le tronc, une serpette ordinaire pour tailler la greffe & unir l’écorce du tronc après le sciage, un coin de fer ou de bois dur, & un marteau pour frapper sur le couteau qui doit commencer la fente, & ensuite sur le coin afin de l’ouvrir & de l’entretenir ;

il faut aussi être pourvu de terre grasse qui soit maniable, de quelques morceaux d’écorces, de mousse & d’osier.

Voici la façon d’y procéder. On coupe la greffe de deux ou trois pouces de longueur, ensorte qu’elle reste garnie de trois ou quatre bons yeux ou boutons ; on fait au gros bout & sur la longueur d’un demi-pouce, une entaille en forme de coin sur deux faces, en conservant avec précaution l’écorce qui reste sur les autres côtés, & qui doit être bien adhérente. Il faut que le côté qui sera tourné en dehors soit un peu plus épais que celui du dedans, & que de ce même côté du dehors & précisément au-dessus de l’entaille, la greffe ait un bon œil ; ensuite il faudra scier le tronc du sujet à plus ou moins de hauteur, suivant que l’on se propose d’en faire un arbre d’espallier, de demi-tige, ou de haut vent. Ce sciage doit être fait un peu en pente, tant pour l’écoulement des eaux que pour faciliter la réunion des écorces ; puis il sera très-à-propos d’unir & ragréer avec la serpette le déchirement qu’on aura fait avec la scie à l’écorce du sujet : après cela, on appliquera le couteau transversalement sur le tronc à-peu près au milieu ; on frappera avec ménagement quelques coups de marteau sur le couteau, pour commencer la fente & donner entrée au coin que l’on forcera à coups de marteau autant qu’il sera besoin pour faire place à la greffe. Si par l’examen que l’on fera ensuite on appercevoit que la fente eût occasionné des inégalités soit au bois soit à l’écorce, il faudra les retrancher avec la serpette, ensorte que la greffe soit bien saisie & arrêtée, sans qu’il reste de jours ni de défectuosités. Ces dispositions étant bien faites, on placera la greffe, avec grande attention sur-tout de faire correspondre l’écorce de la greffe avec celle du sujet : c’est-là le point principal d’où dépend tout le succès.

J’ai dit plus haut qu’à l’endroit de l’entaille de la greffe, il devoit rester deux côtés garnis d’écorce, & que l’un de ces côtés devoit être plus épais que l’autre ; c’est ce côté plus épais qui doit faire face au dehors, & l’écorce de cette partie de la greffe doit si bien se rapporter à celle du sujet, que la seve puisse passer de l’un à l’autre sans obstacle ni détour, comme si les deux écorces n’en faisoient qu’une. La nécessité de ce rapport très-exact des écorces vient de ce qu’on s’est assûré par des expériences, que le bois de la greffe ne s’unit jamais avec celui du sujet ; que la réunion se fait uniquement d’une écorce à l’autre, & que l’accroissement des parties ligneuses ne devient commun qu’à mesure qu’il se forme de nouveau bois.

La greffe ainsi appliquée, on recouvre toutes les fentes & coupures d’une espece de mastic composé de cire & de poix. pour parer aux inconvéniens de la pluie, de la sécheresse, & des autres intempéries de l’air qui ne manqueroient pas d’altérer la greffe ; mais les gens moins arrangés se contentent de mettre un morceau d’écorce sur la fente horisontale ; de recouvrir le dessus du tronc avec de la glaise mêlée de mousse ou de menu foin, & d’envelopper le tout avec du linge qui laisse passer & dominer la greffe ; on attache ce linge par le bas avec un bon osier qui resserre en même tems la fente faite au sujet.

On peut mettre deux greffes sur le même sujet, ou même quatre s’il est gros, en faisant une seconde fente en croix ; mais il est plus ordinaire de n’en mettre qu’une.

La greffe en fente est bien moins usitée à-présent que la greffe en écusson, quoiqu’il soit vrai que la premiere pousse plus vigoureusement & forme plûtot un arbre de haute tige que la seconde.

Greffe en couronne. Le procédé pour cette greffe est à-peu-près semblable à celui de la greffe en fente ; il