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tions complettes de toutes les plantes connues, & qui servît d’interprete pour tous les auteurs. Quelque méthode que l’on employât pour l’arrangement d’un tel ouvrage, il seroit plus utile que tous les systèmes qui ont jamais été faits pour la distribution méthodique des plantes. Par le moyen des descriptions complettes que contiendroit ce vocabulaire, l’on seroit assuré d’y trouver le nom de toutes les plantes que l’on auroit sous les yeux ; ce que l’on n’a pas encore pû faire par les méthodes de nomenclature, parce qu’elles ne contiennent que des descriptions incomplettes qui ne suffisent pas pour faire reconnoître toutes les plantes indiquées par ces méthodes. Peut-être aussi ce vocabulaire une fois établi, feroit renoncer les Botanistes à la prétention chimérique de suivre dans leurs systèmes l’ordre inintelligible de la nature, qui ne peut être conçû que par le Créateur.

En réduisant la nomenclature des plantes à ses justes limites, relativement au reste de la Botanique, on verra que le plus difficile & le plus important de cette science n’est pas de nommer les plantes, mais de connoître leurs propriétés, de savoir cultiver les plantes utiles & de détruire celles qui sont nuisibles, d’observer leur conformation & toutes les parties qui concourent à l’économie végétale ; voilà jusqu’où s’étendent la Botanique & l’Histoire naturelle des plantes. Ainsi la Botanique contient une grande partie de la matiere médicale qui est renfermée en entier dans l’Histoire naturelle générale, puisque cette science comprend non-seulement les plantes, mais tous les animaux & tous les minéraux qui ont des vertus medicinales. Ces propriétés sont si précieuses, que les Naturalistes doivent réunir toutes leurs connoissances à celles des Medecins pour les découvrir. Jusqu’à présent, le hazard y a eu plus de part que les lumieres de l’esprit humain ; mais en faisant des tentatives sur les animaux, en les soumettant à l’effet de certaines plantes, on trouveroit dans ces plantes des propriétés utiles aux hommes ; & cette découverte seroit bien moins difficile, si l’on avoit seulement les élémens d’une medecine comparée établie sur les animaux considérés en état de santé & en état de maladie. Que de nouvelles propriétés n’auroit-on pas encore découvert dans les plantes relativement aux Arts, si les Botanistes avoient employé à les éprouver le tems qu’ils ont passé à les nommer ! Les choses dont les propriétés sont connues, ne peuvent manquer de noms ; les gens de la campagne savent les noms de toutes les plantes qui leur servent ou qui leur nuisent, & ils les connoissent mieux que les Botanistes ; ils sont aussi presque les seuls qui s’occupent de leur culture.

Les premieres idées que l’on a eues de l’Histoire naturelle ont sans doute été celles de l’Agriculture & de l’éducation des animaux ; on a commencé par cultiver les plantes & par élever les animaux qui pouvoient servir d’alimens. Après s’être pourvu du nécessaire, on s’est appliqué à des recherches qui ont fait naître les sciences ; à force de travaux & de méditations, & à l’aide des siecles, on les a élevées à un haut degré de perfection. Il est surprenant qu’au milieu de tant de découvertes en différens genres, l’Agriculture ait eu peu d’avancement. Voyez Botanique. On laboure & on seme à peu-près de la même façon depuis plusieurs siecles ; cependant on ne peut pas douter qu’il n’y ait des moyens de labourer & de semer plus fructueusement. L’art de peupler les forêts n’a été bien connu que de nos jours. Quelles recherches peuvent donc être plus importantes que celles qui contribuent à rendre la terre plus féconde, & à multiplier les choses les plus nécessaires aux hommes ! Ces objets sont les plus dignes des Naturalistes, des savans de tout genre, &

des bons citoyens ; aussi ne peut on pas trop applaudir aux travaux de ceux qui s’appliquent à rechercher la nature des terres, à perfectionner la charrue, à conserver les grains, à purifier ou à préserver les semences de la contagion, à élever des forêts, à naturaliser des arbres étrangers, &c.

L’Agriculture a des parties de détail qui méritent l’attention des Botanistes, & qu’ils peuvent perfectionner par les connoissances générales qu’ils ont sur les plantes, avec plus de succès, que les gens qui n’ont que des connoissances bornées chacun dans leur art. La culture des légumes & des arbres fruitiers, l’art des greffes, sont dignes des soins des Botanistes, parce qu’il est possible de varier ces productions, & d’augmenter par la culture, le fonds de nos richesses en ce genre. On peut changer les qualités des légumes au point de les rendre meilleurs & différens d’eux-mêmes à quelques égards ; on peut former des fruits qui n’auront jamais paru sur la terre. Les nomenclateurs de Botanique diront : la laitue de Batavia n’est qu’une variété de la laitue sauvage ; la poire cressane n’est qu’une variété de la poire sauvage. Mais ces variétés sont des biens réels dont nous devons être très-reconnoissans envers les hommes laborieux & inventifs qui nous les ont procurés ; tandis que la dénomination caractéristique d’une plante inutile n’est en elle-même qu’une vaine connoissance, & que la définition d’un nouveau genre de plante n’est qu’une chimere.

La culture des fleurs & des arbres d’agrément appartient à la Botanique, comme les autres parties de l’Agriculture, & peut avoir son genre d’utilité réelle indépendamment de l’innocent amusement qu’elle nous procure. Les Fleuristes savent distinguer parmi des tulipes de différentes couleurs, celles dont les semences produiront des tulipes panachées, & ils prévoient les changemens de couleurs qui se feront chaque année dans ces panaches. Si l’on avoit bien réfléchi sur cet ordre successif de teintes naturelles dans les fleurs, si on l’avoit bien observé sur les feuilles du houx & des autres arbres qui ont des feuilles panachées, on pourroit en tirer de nouvelles lumieres pour le mélange des couleurs dans les arts, pour le changement de ces couleurs, la dégradation de leurs teintes, &c. de telles connoissances seroient d’autant plus sures, qu’elles seroient d’accord avec les opérations de la nature. La culture des fleurs exige des soins très-assidus ; il faut être attentif à la nature de chaque plante pour prévenir les maladies auxquelles elle est sujette, & pour l’empêcher de dégénérer ; ainsi l’on est à portée de reconnoître pour ainsi dire, les différentes qualités de leur tempérament, leurs maladies héréditaires, & d’autres particularités de l’économie végétale.

La connoissance de cette économie est le but le plus élevé de la Botanique ; pour y parvenir il a fallu commencer par l’examen détaillé de toutes les parties des plantes ; c’est une sorte d’anatomie plus simple que celle des animaux, mais qui demande des recherches aussi fines & des opérations aussi délicates. De grands observateurs y ont fait des progrès rapides ; l’invention du microscope leur a donné le moyen de découvrir les parties les moins apparentes des végétaux. Par l’exposition anatomique de toutes les plantes, ou au moins de celles qui different entre elles par leur conformation, on répandroit de nouvelles lumieres sur le méchanisme de la végétation. On a deja fait de grandes découvertes sur le développement des germes sur l’accroissement des plantes, sur la succion des racines & des feuilles, le cours & l’évaporation de la seve, la reproduction des végétaux, &c. mais il y a encore beaucoup de connoissances à desirer dans toutes les parties de la Botanique. Il faut qu’elles concourrent toutes à l’avan-