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La nature a donné à tous le droit à tout, même avec offense d’un autre ; car on ne doit à personne autant qu’à soi.

Au milieu de tant d’intérêts divers, prévenir son concurrent, moyen le meilleur de se conserver.

De-là le droit de commander acquis à chacun par la nécessité de se conserver.

De-là, guerre de chacun contre chacun, tant qu’il n’y aura aucune puissance coactive. De-là une infinité de malheurs au milieu desquels nulle sécurité que par une prééminence d’esprit & de corps ; nul lieu à l’industrie, nulle récompense attachée au travail, point d’agriculture, point d’arts, point de société ; mais crainte perpétuelle d’une mort violente.

De la guerre de chacun contre chacun, il s’ensuit encore que tout est abandonné à la fraude & à la force, qu’il n’y a rien de propre à personne ; aucune possession réelle, nulle injustice.

Les passions qui inclinent l’homme à la paix, sont la crainte, sur-tout celle d’une mort violente ; le desir des choses nécessaires à une vie tranquille & douce, & l’espoir de se les procurer par quelque industrie.

Le droit naturel n’est autre chose que la liberté à chacun d’user de son pouvoir de la maniere qui lui paroîtra la plus convenable à sa propre conservation.

La liberté est l’absence des obstacles extérieurs.

La loi naturelle est une regle générale dictée par la raison en conséquence de laquelle on a la liberté de faire ce que l’on reconnoît contraire à son propre intérêt.

Dans l’état de nature, tous ayant droit à tout, sans en excepter la vie de son semblable, tant que les hommes conserveront ce droit, nulle sûreté même pour le plus fort.

De-là une premiere loi générale, dictée par la raison, de chercher la paix, s’il y a quelque espoir de se la procurer ; ou dans l’impossibilité d’avoir la paix, d’emprunter des secours de toute part.

Une seconde loi de raison, c’est après avoir pourvû à sa défense & à sa conservation, de se départir de son droit à tout, & de ne retenir de sa liberté que la portion qu’on peut laisser aux autres, sans inconvénient pour soi.

Se départir de son droit à une chose, c’est renoncer à la liberté d’empêcher les autres d’user de leur droit sur cette chose.

On se départ d’un droit, ou par une renonciation simple qui jette, pour ainsi dire, ce droit au milieu de tous sans l’attribuer à personne, ou par une collation, & pour cet effet il faut qu’il y ait des signes convenus.

On ne conçoit pas qu’un homme confere son droit à un autre, sans recevoir en échange quelque autre bien ou quelque autre droit.

La concession réciproque de droits est ce qu’on appelle un contrat.

Celui qui cede le droit à la chose, abandonne aussi l’usage de la chose, autant qu’il est en lui de l’abandonner.

Dans l’état de nature, le pacte arraché par la crainte est valide.

Un premier pacte en rend un postérieur invalide. Deux motifs concourent à obliger à la prestation du pacte, la bassesse qu’il y a à tromper, & la crainte des suites fâcheuses de l’infraction. Or cette crainte est religieuse ou civile, des puissances invisibles ou des puissances humaines. Si la crainte civile est nulle, la religieuse est la seule qui donne de la force au pacte, de-là le serment.

La justice commutative est celle de contractans ; la justice distributive est celle de l’arbitre entre ceux qui contractent.

Une troisieme loi de la raison, c’est de garder le pacte. Voilà le fondement de la justice. La justice & la sainteté du pacte commencent, quand il y a société & force coactive.

Une quatrieme regle de la raison, c’est que celui qui reçoit un don gratuit, ne donne jamais lieu au bienfaiteur de se repentir du don qu’il a fait.

Une cinquieme, de s’accommoder aux autres, qui ont leur caractere comme nous le nôtre.

Une sixieme, les sûretés prises pour l’avenir, d’accorder le pardon des injures passées à ceux qui se repentent.

Une septieme, de ne pas regarder dans la vengeance à la grandeur du mal commis, mais à la grandeur du bien qui doit résulter du châtiment.

Une huitieme, de ne marquer à un autre ni haine, ni mépris, soit d’action, soit de discours, du regard ou du geste.

Une neuvieme, que les hommes soient traités tous comme égaux de nature.

Une dixieme, que dans le traité de paix générale, aucun ne retiendra le droit qu’il ne veut pas laisser aux autres.

Une onzieme, d’abandonner à l’usage commun ce qui ne souffrira point de partage.

Une douzieme, que l’arbitre, choisi de part & d’autre, sera juste.

Une treizieme, que dans le cas ou la chose ne peut se partager, on en tirera au sort le droit entier, ou la premiere possession.

Une quatorziéme, qu’il y a deux especes de sort ; celui du premier occupant ou du premier né, dont il ne faut admettre le droit qu’aux choses qui ne sont pas divisibles de leur nature.

Une quinzieme, qu’il faut aux médiateurs de la paix générale, la sûreté d’aller & de venir.

Une seizieme, d’acquiescer à la décision de l’arbitre.

Une dix-septieme, que personne ne soit arbitre dans sa cause.

Une dix-huitieme, de juger d’après les témoins dans les questions de fait.

Une dix-neuvieme, qu’une cause sera propre à l’arbitre toutes les fois qu’il aura quelque intérêt à prononcer pour une des parties de préférence à l’autre.

Une vingtieme, que les lois de nature qui obligent toûjours au fore intérieur, n’obligent pas toûjours au fore extérieur. C’est la différence du vice & du crime.

La Morale est la science des lois naturelles, ou des choses qui sont bonnes ou mauvaises dans la société des hommes.

On appelle celui qui agit en son nom ou au nom d’un autre, une personne ; & la personne est propre, si elle agit en son nom ; représentative, si c’est au nom d’un autre.

Il ne nous reste plus, après ce que nous venons de dire de la philosophie d’Hobbes, qu’à en déduire les conséquences, & nous aurons une ébauche de sa politique.

C’est l’intérêt de leur conservation & les avantages d’une vie plus douce, qui a tiré les hommes de l’état de guerre de tous contre tous, pour les assembler en société.

Les loix & les pactes ne suffisent pas pour faire cesser l’état naturel de guerre ; il faut une puissance coactive qui les soumette.

L’association du petit nombre ne peut procurer la sécurité, il faut celle de la multitude.

La diversité des jugemens & des volontés ne laisse ni paix ni sécurité à espérer dans une société où la multitude gouverne.

Il n’importe pas de gouverner & d’être gouverné