Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/521

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copale ; ac sane apud te de animi mei motibus disputabo ; neque enim apud alium, quam amicissimum tuum unaque mecum educatum caput, commodius istud facere possum. Je ne balancerai point à vous dévoiler mes sentimens ; & à qui pourrois-je montrer plus volontiers le fond de mon cœur, qu’à mon frere, qu’à celui avec lequel j’ai été nourri, élevé, qu’à l’homme qui m’aime le mieux, & à qui je suis le plus cher ? Te enim æquum est & earumdem curarum esse participem, & cum noctu vigilare, tum interdiu cogitare, quemadmodum aut boni mihi aliquid contingat aut mali quidpiam evitare possim. Il faut qu’il partage tous mes soins ; s’il est possible qu’en veillant avec moi la nuit, en m’entretenant le jour, je me procure quelque bien, ou que j’évite quelque mal, il ne s’y refusera pas. Audi igitur quæ sit mearum rerum status, quarum plerumque, jam, opinor, tibi fuerint cognitæ. Vous connoissez déja une partie de ma situation, écoutez-moi, mon frere, & sachez le reste. Cum exiguum onus suscepissem, commode mihi hactenus sustinuisse videor, philosophiam. Jusqu’à présent je me suis contenté du rôle de philosophe ; il étoit facile, & je crois m’en êtré assez bien acquitté. Mais on a mal jugé de ma capacité ; & parce qu’on m’a vû soutenir sans peine un fardeau leger, on a cru que j’en pourrois porter un plus pesant. Pro eo vero quod non omnino ab ea aberrare videor, à nonnullis laudatus, majoribus dignus ab iis existimor, qui animi facultatem habilitatemque dignoscere nequeant. Jugeons-nous nous-mêmes, & ne nous laissons point séduire par cet éloge. Craignons que de nouveaux honneurs ne nous rendent vains, & qu’un poste plus élevé ne m’ôte le peu de mérite que j’ai dans celui que j’occupe, s’il arrive qu’après avoir pour ainsi dire, méprisé l’un, l’on me reconnoisse in digne de l’autre. Vereor autem ne arrogantior redditus, cum honorem admittent, ab utroque excidam, postquam alterum quidem contempsero, alterius vero non fuerim dignitatem assecutus. Dieu, la loi, & la main sacrée de Théophile, m’ont attaché à une femme ; il ne me convient ni de m’en séparer, ni de vivre secrettement avec elle, comme un adultere. Mihi & Deus ipse & lex & sacra Theophili manus uxorem dedit, quare hoc omnibus prædico, & testor neque me ab ea prorsus sejungi velle, neque adulteri instar cum ea clanculum consuescere. Je partage mon tems en deux portions. J’étudie ou j’enseigne. En étudiant, je suis ce qu’il me plaît. En enseignant, c’est autre chose. Duobus hisce tempus identidem distinguo ludis, atque studiis. At cum in studiis occupor, tum mihi uni dedirus sum ; in ludendo vero, maximè omnibus expositus. Il est difficile, il est impossible de chasser de son esprit des opinions qui y sont entrées par la voie de la raison, & que la force de la démonstration y retient. Et vous n’ignorez pas qu’en plusieurs points, la Philosophie ne s’accorde ni avec nos dogmes, ni avec nos decrets. Difficile est, vel fieri potius nullo pacto potest ut quæ dogmata scientiarum ratione ad demonstrationem perducta in animum pervenerint, convellantur. Nosti autem Philosophiam cum plerisque ex pervulgatis usu decretis pugnare. Jamais, mon frere, je ne me persuaderai que l’origine de l’ame soit postérieure au corps ; je ne prendrai jamais sur moi de dire que ce monde & ses autres parties puissent passer en même tems. J’ai une façon de penser qui n’est point celle du vulgaire, & il y a dans cette doctrine usée & rebattue de la résurrection, je ne sais quoi de ténébreux & de sacré, que je ne saurois digérer. Une ame imbue de la Philosophie, un esprit accoutumé à la recherche de la vérité, ne s’expose pas sans répugnance à la nécessité de mentir. Etenim nunquam profecto mihi persuasero animum originis esse posteriorem corpore ; mundum cæterasque ejus partes una interire nunquam dixero ; tritam illam ac decantatam resurrectionem sacrum quidplum atque arcanum arbitror, longeque absum à vulgi

opinionibus comprobandis. Animus certè quidem Philosophia imbutus ac veritatis inspector mentiendi necessitati non nihil remittit. Il en est de la vérité comme de la lumiere. Il faut que la lumiere soit proportionnée à la force de l’organe, si l’on ne veut pas qu’il en soit blessé. Les ténebres conviennent aux ophtalmiques, & le mensonge aux peuples ; & la vérité nuit à ceux dont l’esprit ou inactif ou hébété ne peut ou n’est pas accoutumé à approfondir. Lux enim veritati, oculus vulgo proportione quadam respondent. Et oculus ipse non sine damno suo immodica luce perfruitur. Ac uti ophtalmicis caligo magis expedit, eodem modo mendacium vulgo prodesse arbitror, contra nocere veritatem iis qui in rerum perspicuitatem intendere mentis aciem nequeunt. Cependant voyez ; je ne refuse pas d’être évêque, s’il m’est permis d’allier les fonctions de cet état avec mon caractere & ma franchise, philosophant dans mon cabinet, répetant des fables en public, n’enseignant rien de nouveau, ne desabusant sur rien, & laissant les hommes dans leurs préjugés à peu près comme ils me viendront ; mais le croyez-vous ? Hæc si mihi episcopalis nostri muneris jussa concesserint, subire hanc dignitatem possint, ita ut domi quidem philosopher, foris vero fabulas texam, ut nihil penitùs docens, sic nihil etiam dedocens atque in præsumptâ animi opinione sistens. Sans cela, s’il faut qu’un évêque soit populaire dans ses opinions, je me décélerai sur le champ. On me conférera l’épiscopat si l’on veut ; mais je ne veux pas mentir. J’en atteste Dieu & les hommes. Dieu & la vérité se touchent. Je ne veux point me rendre coupable d’un crime à ses yeux. Non, mon frere, non, je ne puis dissimuler mes sentimens. Jamais ma bouche ne proférera le contraire de ma pensée. Mon cœur est sur le bord de mes levres. C’est en pensant comme je fais, c’est en ne disant rien que je ne pense, que j’espere de plaire à Dieu. Si dixerint episcopum opinionibus popularem esse, ego me illico omnibus manifestum præbebo. Si ad episcopale munus vocer, nolo ementiri dogmata. Horum Deum, horum homines testes facio. Assinis est Deo veritas, apud quem criminis expers omnis cupio. Dogmata porro mea nunquam obtegam, neque mihi ab animo lingua dissidebit. Ita sentiens, itaque loquens placere me Deo arbitror. Voyez les ouvrages de Synésius dans la Collect. des Peres de l’Église.

Cette protestation ne l’empêcha point d’être consacré évêque de Ptolomaïs. Il est incroyable que Théophile n’ait point balancé à élever à cette dignité un philosophe infecté de Platonisme, & s’en faisant honneur. On eut égard, dit Photius, à la sainteté de ses mœurs, & l’on espéra de Dieu qu’il l’éclaireroit un jour sur la résurrection & sur les autres dogmes que ce philosophe rejettoit.

Denis l’Aréopagite, Claudien Mamert, Boëtce, Æneas Gazaeus, Zacharie le Scholastique, Philopon & Nemesius, ferment cette ere de la Philosophie chrétienne que nous allons suivre, dans l’Orient, dans la Grece & dans l’Occident, en exposant les révolutions depuis le septieme siecle jusqu’au douzieme.

Cette philosophie des émanations, cette chaîne d’esprits qui descendoit & qui s’élevoit, toutes ces visions platonico-origenico-alexandrines qui promettoient à l’homme un commerce plus ou moins intime avec Dieu, étoient très-propres à entretenir l’oisiveté pieuse de ces comtemplateurs inutiles qui remplissoient les forêts, les monasteres & les solitudes ; aussi fit-elle fortune parmi eux. Le Péripatétisme au contraire, dont la dialectique subtile fournissoit des armes aux hérétiques, s’accréditoit d’un autre côté. Il y en eut qui, jaloux d’un double avantage, tâcherent de concilier Aristote avec Platon ; mais celui-ci perdit de jour en jour ; Aristote gagna, & la philosophie alexandrine étoit presque oubliée,