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tre ; cela se fait par le moyen d’un moule en cuivre composé de plusieurs morceaux qui s’ajustent les uns aux autres ; les moules sont percés aux endroits où l’anse doit s’attacher à la piece. Voyez la forme d’un moule d’anse & ses différens morceaux aux figures du métier.

Pour jetter sur la piece, on remplit les pots de sable ou de son, excepté la gorge ; on le foule & on l’arrête avec un linge ou papier, ensuite on met à la bouche du pot en-dedans, le linge dans lequel il y a du sable mouillé qu’on nomme drapeau à sable, puis on prend le moule d’anse dont les pieces sont jointes ensemble, & tenues par une ou deux serres de fer ; on pose le moule sur la piece qu’on tient devant soi sur les genoux ; ensuite on prend de l’étain fondu & chaud dans une cuillere qui est sur le fourneau avec une autre cuillere plus petite ; on jette de l’étain dans le moule qui se soude de lui-même à la piece, entrefondant l’endroit où il touche, après quoi on le dépouille piece à piece, & on continue de même jusqu’à ce que tout soit jetté.

Quand on n’a pas des moules convenables aux grandeurs des pieces, on a des moules séparés dont on rapporte les anses ou autres choses qu’on veut faire tenir pour finir un ouvrage, & cela s’appelle mouler (voyez Mouler les anses), ou on les joint par le moyen de la soudure légere. Voyez Souder a la soudure legere.

Jetter sur le pié, chez les Vergettiers, c’est rouler en prenant sous le pié le chiendent pour le dépouiller de son écorce, & le rendre propre à être employé à toutes sortes d’ouvrages.

Jetter, terme de Fauconnerie : on dit jetter un oiseau du poing, ou le donner du poing après la proie qui suit. Jetter sa tête, c’est mettre bas en parlant du cerf.

JETTON, s. m. (Littérat. anc. & mod.) j’appelle de ce nom tout ce qui servoit chez les anciens à faire des calculs sans écriture, comme petites pierres, noyaux, coquillages, & autres choses de ce genre.

L’on a donné dans le recueil de l’acad. des Belles-Lettres, l’extrait d’un mémoire instructif dont je vais profiter, sur l’origine & l’usage des jettons. Ils sont peut-être aussi anciens que l’Arithmétique même, pourvû qu’on ne les prenne pas pour ces pieces de métal fabriquées en guise de monnoie, qui sont aujourd’hui si communes. De petites pierres, des coquillages, des noyaux, suffisoient au calcul journalier de gens qui méprisoient, ou qui ne connoissoient pas l’or & l’argent. C’est ainsi qu’en usent encore aujourd’hui la plûpart des nations sauvages ; & la maniere de se servir de ces coquillages ou de ces petites pierres, est au fond trop simple & trop naturelle pour n’être pas de la premiere antiquité.

Les Egyptiens, ces grands maîtres des arts & des sciences, employoient cette sorte de calcul pour soulager leur mémoire. Hérodote nous dit, qu’outre la maniere de compter avec des caracteres, ils se servoient aussi de petites pierres d’une même couleur, comme faisoient les Grecs ; avec cette différence que ceux-ci plaçoient & leurs jettons & leurs chiffres, de la gauche à la droite, & ceux-là de la droite à la gauche. Chez les Grecs, ces petites pierres qui étoient plates, polies & arrondies, s’appelloient ψῆφοι ; & l’art de s’en servir dans les calculs, ψηφοφορία. Ils avoient encore l’usage de l’ἄϐαξ, en latin abacus. Voyez Abaque.

Ces petites pierres que je dis avoir été nommées ψῆφοι par les Grecs, furent appellées calculi par les Romains. Ce qui porte à croire que ceux-ci s’en servirent long-tems, c’est que le mot lapillus est quelquefois synonyme à celui de calculus.

Lorsque le luxe s’introduisit à Rome, on com-

mença à employer des jettons d’ivoire ; c’est pourquoi Juvenal dit sat. xj. v. 131.

Adeò nulla uncia nobis
Est eboris nec Tessalæ, nec calculus ex hâc
Materiâ

Il est vrai qu’il ne reste aujourd’hui dans les cabinets des curieux, aucune piece qu’on puisse soupçonner d’avoir servi de jettons ; mais cent expressions qui tenoient lieu de proverbes, prouvent que chez les Romains, la maniere de compter avec des jettons étoit très-ordinaire : de-là ces mots ponere calculos, pour désigner une suite de raisons ; hic calculus accedat, pour signifier une nouvelle preuve ajoutée à plusieurs autres ; calculum detrahere, lorsqu’il s’agissoit de la suppression de quelques articles ; voluptatum calculos subducere, calculer, considérer par déduction la valeur des voluptés ; & mille autres qui faisoient allusion à l’addition ou à la soustraction des jettons dans les comptes.

C’étoit la premiere Arithmétique qu’on apprenoit aux enfans, de quelque condition qu’ils fussent. Capitolin parlant de la jeunesse de Pertinax, dit, puer calculo imbutus. Tertulien appelle ceux qui apprenoient cet art aux enfans, primi numerorum arenarii ; les Jurisconsultes les nommoient calculones, lorsqu’ils étoient ou esclaves, ou nouvellement affranchis ; & lorsqu’ils étoient d’une condition plus relevée, on leur donnoit le nom de calculatores ou numerarii. Ordinairement il y avoit un de ces maîtres pour chaque maison considérable, & le titre de sa charge étoit a calculis, a rationibus.

On se servoit de ces sortes de jettons faits avec de petites pierres blanches ou noires, soit pour les scrutins, soit pour spécifier les jours heureux ou malheureux. De là vient ces phrases, signare, notare aliquid albo nigrove lapillo, seu calculo, calculum album adjicere errori alterius, approuver l’erreur d’une personne.

Mais les jettons, outre la couleur, avoient d’autres marques de valeur, comme des caracteres ou des chiffres peints, imprimés, gravés ; tels étoient ceux dont la pratique avoit été établie par les loix pour la liberté des suffrages, dans les assemblées du peuple & du sénat. Ces mêmes jettons servoient aussi dans les calculs, puisque l’expression omnium calculis, pour désigner l’unanimité des suffrages, est tirée du premier emploi de ces sortes de jettons, dont la matiere étoit de bois mince, poli, & froté de cire de la même couleur, comme Cicéron nous l’apprend.

On en voit la forme dans quelques médailles de la famille Cassia ; & la maniere dont on les jettoit dans les urnes pour le scrutin, est exprimée dans celles de la famille Licinia. Les lettres gravées sur ces jettons, étoient V. R. uti rogas, & A. antiquo. Les premieres marquoient l’approbation de la loi, & la derniere signifioit qu’on la rejettoit. Enfin, les juges qui devoient opiner dans les causes capitales, en avoient de marqués à la lettre A pour l’absolution, absolvo ; à la lettre C. pour la condamnation, condemno ; & à celles-ci N. L. non liquet, pour un plus amplement informé.

Il y avoit encore une autre espece de bulletins, qu’on peut ranger au nombre des jettons. C’étoient ceux dont on se servoit dans les jeux publics, & par lesquels on décidoit du rang auquel les athletes devoient combattre. Si par exemple ils étoient vingt, on jettoit dans une urne d’argent vingt de ces pieces, dont chaque dixaine étoit marquée de numéros depuis 1 jusqu’à 10 ; chacun de ceux qui tiroient étoit obligé de combattre contre celui qui avoit le même numéro. Ces derniers jettons étoient nommés calculi athletici.

Si nous passons maintenant aux véritables jettons,