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leur & la douleur, & la fievre surviendra : si quelque principe, sur-tout actif, comme les esprits & le soufre, prend le dessus, il s’excitera une sorte d’effervescence, comme il arrive dans un tonneau de vin, lorsque quelque partie, sur-tout le tartre, prédomine ; cette effervescence ou la fievre durera jusqu’à ce que le sang enflammé par le feu fébril ait deflagré.

Chirac, illustre professeur de Montpellier, homme né avec un génie hardi & créateur, doué de talens supérieurs, & renommé par les changemens considérables qu’il a apportés dans la théorie & la pratique de la Medecine, pensoit aussi que le sang étoit composé de sels, de soufre, de terre & d’eau ; que les sels qui entroient dans sa composition étoient de différente nature, les uns acides, & les autres alkalis ; ils entretenoient par leur choc mutuel un mouvement de fermentation, ou plutôt d’effervescence, nécessaire à la coction des humeurs & à leurs différentes secrétions ; si quelques causes augmentoient l’énergie de ces sels, leur choc devenoit plus fort, la chaleur plus vive, la fermentation augmentoit. Si cette cause avoit lieu dans tout le corps, la fievre étoit excitée ; si elle étoit restrainte à une partie, & sur-tout le sang étant déja coagulé par les acides, ce n’étoit qu’une fievre topique, ou inflammation.

Quelques sectateurs de la physique de Descartes ont trouvé la cause de l’inflammation dans cette matiere subtile éthérée qui, selon eux, est le premier & le seul moteur de toutes choses : en supposant auparavant le sang épaissi & arrêté dans quelques parties, la matiere subtile qui avant cet épaisissement parcouroit en liberté les pores du sang ouverts & disposés en droite ligne, ne sauroit se mouvoir avec la même facilité dans les pores retrécis & tortueux d’un sang coagulé ; ainsi elle sera obligée de faire des efforts pour briser les liens, pour vaincre les obstacles qui s’opposent à son mouvement, pour expulser les matieres hétérogenes qui bouchent les pores ; tous ces efforts, ces mouvemens, seront nécessairement suivis de chaleur, de rougeur, de douleur, & en un mot il y aura inflammation.

On ne sauroit nier que tous ces systèmes ne soient imaginés avec beaucoup d’esprit ; il est fâcheux qu’ils n’ayent d’autre mérite, & qu’ils soient si éloignés de la vérité ; une réfutation sérieuse me paroît superflue ; les nouvelles analyses du sang & des humeurs en ont banni tous ces principes, qui étoient redevables de leur existence à l’imagination bouillante & préoccupée de quelques chimistes ; la matiere éthérée ne méritoit pas un traitement plus favorable ; la saine Physique en a reconnu l’insuffisance & le défaut, & l’a condamnée, ainsi que les lois du mouvement de ce grand homme, à une inaction perpétuelle. Aussi toutes ces hypothèses, fruit de l’imagination, ne se sont soutenues que peu de tems en faveur de la nouveauté, & sont tombées dans l’oubli aussi-tôt qu’elles ont eu perdu ce foible avantage, opinionum commenta delet dies.

Les Méchaniciens ont succédé aux Chimistes ; ils se sont élevés sur les débris de la Chimie, dont ils ont renversé les opinions ; le corps humain changea dans leur main de nature ; il cessa d’être laboratoire, & fut transformé en un magasin de cordes, de leviers, poulies, & autres instrumens de méchanique, dont le principal but devoit être de concourir au mouvement des humeurs ; en un mot, le corps fut regardé comme une machine statico-hydraulique ; & on ne balança pas un moment à en expliquer toutes les fonctions par les voies aveugles & démontrées géométriquement de la méchanique inorganique ; mais il est arrivé très-souvent qu’on a fait une fausse application des principes les plus certains ; leur théorie de l’inflammation, & celle de la fievre,

qui est presque la même, est fondée sur ce principe, dont la vérité n’est rien moins que démontrée dans la fievre, mais qui est assûrée dans l’inflammation ; savoir que le cours du sang est gêné & presque nul dans les extrémités capillaires.

M. Didier, ancien professeur en notre université, célebre sur-tout par les ressources heureuses que lui fournissoit une imagination vive dans les cas les plus desespérés, le premier qui ait fait jouer la machine dans le corps humain, regardoit la stagnation du sang dans les petites artérioles comme cause suffisante de l’inflammation. Cela posé, disoit-il, le sang qui continuellement poussé par le cœur, vient heurter contre ces obstructions, rebrousse chemin, passe plus vîte par les vaisseaux collatéraux ; parce qu’une plus grande quantité doit passer dans un tems donné. Il arrive donc au cœur par un chemin plus court, par conséquent plus promptement, & en plus grande quantité ; d’où s’ensuit encore la fievre générale, qu’il doit regarder dans son système comme compagne inséparable de l’inflammation. Cette explication n’est qu’un enchaînement de principes faux & contraires aux lois du mouvement ; car, selon ces lois, un corps mu avec un certain degré de vitesse, rencontrant un corps de la même densité en repos, lui communique la moitié de sa vitesse ; donc le sang poussé par le cœur contre celui qui est arrêté, doit perdre de sa vitesse loin d’en acquérir une nouvelle ; loin donc de traverser plus vite les vaisseaux adjoints, donc il ne doit pas non plus arriver plus promptement au cœur ; car souvent le passage par les vaisseaux collatéraux n’abrege point le chemin ; d’ailleurs il doit y parvenir en moindre quantité, puisqu’une partie des extrémités capillaires lui refuse une issue ; il est démontré que la masse d’un fluide qui s’échappe d’un tube par différens orifices, est proportionnelle à leur nombre. Si dans une pompe de trois orifices égaux, on en bouche deux, le piston continuant de jouer avec la même force, la quantité du fluide qui sortira par le seul orifice sera sous-triple de celle qui s’échappoit auparavant par les trois. Ainsi les petits vaisseaux s’étant bouchés par la supposition, la masse du sang qui sera transmise au cœur diminuera à proportion ; donc ces obstacles ne tendront qu’à diminuer la force & la vitesse des contractions du cœur, loin de les augmenter ; la gangrene & la syncope dans ces circonstances seroient plus à craindre que l’inflammation & la fievre.

M. Fizes, aussi fameux professeur en l’université de Montpellier, suit exactement l’opinion de Deidier ; il pense avec lui que la stagnation du sang suffit pour augmenter sa vitesse dans les vaisseaux voisins, & même par tout le corps ; il ajoute que les parties fibreuses du sang embarrassant l’embouchure des vaisseaux lymphatiques, la lymphe ne sera point séparée. Or cette secrétion qui, selon lui, arrête le cours du sang, n’ayant pas lieu, le sang ira d’autant plus vite, que sa vitesse dans les extrémités artérielles surpasse celle de la lymphe dans ses vaisseaux appropriés : citons les propres termes de l’auteur, pour ne pas paroître les avoir obscurcis : hinc sanguinis celeritas in eâ proportione crescet quâ sanguinis per vasa minima projecti celeritas lymphæ perductus exiguos fluentis celeritatem superat ; ce qui donne encore la raison si recherchée de l’augmentation prétendue dans la vitesse du sang, soit dans la partie, soit dans tout le corps : c’est assurément prendre bien de la peine pour donner la raison d’un fait qui n’est rien moins qu’évident ; il me semble voir tous les Chimistes disputer, entasser des volumes, pour rendre raison d’une dent d’or supposée naturelle à un enfant qui étoit à la cour d’un duc de Toscane, tandis que le fait étoit faux ; ou les Physiciens se mettre à la tor-