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me font sur le corps ont d’abord fait hasarder ce paradoxe, & l’on a cru qu’il étoit à-propos de ne pas laisser un si bel agent sans ouvrage, d’autant mieux que la matiere seule a été jugée incapable de se mouvoir par elle-même. Il est vrai que si notre corps étoit une machine brute, inorganique, il faudroit nécessairement que quelqu’autre agent en dirigeât, soutînt & augmentât les mouvemens ; & les erreurs des Méchaniciens ne me paroissent partir d’autre principe que de ce qu’ils n’ont pas considéré les animaux comme des composés, vivans & organisés. Mais quand même on seroit obligé d’admettre une faculté motrice qui agît & opérât dans le corps, elle devroit être censée différente de l’ame, & destinée à régler les mouvemens vitaux, tandis que l’ame seroit occupée à penser ou à veiller sur les fonctions animales. Ce qui donneroit occasion de penser ainsi, c’est en premier lieu le peu de connoissance qu’a l’ame de ce qui regarde la nature & ses opérations ; en second lieu, c’est que le corps se trouve quelquefois dans certaines situations où l’ame semble avoir abandonné les rènes de son empire ; tous les mouvemens animaux sont abolis ; les demi-animaux, la respiration, par exemple, sont beaucoup affoiblis, & cependant alors les mouvemens vitaux s’exécutent souvent avec assez de facilité : la même chose s’observe dans le sommeil, qui n’est qu’une légere image de cet état morbifique ; l’ame ne sent rien ; des causes souvent assez actives de douleur ne parviennent point jusqu’à elle, n’excitent aucun sentiment fâcheux : cependant alors les fonctions vitales s’exercent avec plus de force, ce semble, & d’uniformité.

Mais, demandera-t-on, cette nouvelle faculté motrice est elle spirituelle, matérielle, ou tient-elle un milieu entre ces deux états ? Je réponds 1°. qu’ayant lieu aussi-bien dans les animaux & les végétaux que dans l’homme, elle ne sauroit être spirituelle : je dis dans les végétaux, parce qu’on y observe le même méchanisme, quoique plus simple, que dans les animaux, & que je les regarde comme compris sous la classe des corps organisés, & ne différant que par nuances des animaux irraisonnables (l’homme doué d’une ame pensante & raisonneuse, faisant sa classe à part). Outre la circulation des humeurs, la nutrition, la génération, la végétation, &c. ne voit-on pas, pour choisir un exemple qui soit de mon sujet, dans quelques arbres sur venir des tumeurs après des coups, après la piquure de certains insectes ? Pour ce qui regarde les animaux, personne ne doute qu’ils ne soient sujets à l’inflammation & autres maladies comme les hommes, & que chez eux ces maladies ne se guérissent de même.

2°. Tous ces efforts prétendus opérés par un principe aussi-bienfaisant qu’intelligent, & toujours dirigés à une bonne fin, sont trop constans & trop semblables pour n’être pas l’effet d’un méchanisme aveugle. Dans tous les tems, dans tous les pays, dans tous les sexes, les âges, dans tous les animaux, (je ne dis pas les végétaux, parce que cette partie de leur histoire, qui traite des maladies, ne m’est pas assez connue), ces efforts s’exécutent de la même maniere ; ils consistent dans l’augmentation du mouvement vital, lorsque les obstacles irritans à vaincre sont dans le système vasculeux, lorsque les nerfs qui servent aux fonctions vitales sont irrités, ce qui arrive le plus souvent ; & le mouvement des muscles augmente contre ou sans la volonté de l’ame, & il survient des convulsions universelles ou particulieres, lorsque l’irritation porte sur les autres nerfs, comme il arrive aux enfans & aux hystériques. Il est aussi simple & aussi nécessaire que ces efforts s’exécutent, & qu’à l’irritation survienne l’inflammation, qu’il est naturel que la pression d’un ressort dans une montre à répétition fasse sonner les heures. Si une fa-

culté clairvoyante conduisoit ces efforts, elle devroit

les proportionner aux dangers, aux forces, au tempérament & à l’état de la maladie, les varier, les diversifier suivant les circonstances, & même les supprimer lorsqu’ils pourroient être nuisibles ou infructueux. Si l’on observoit ces efforts ainsi dirigés, & conséquemment toujours suivis d’un heureux succès, qu’on les rapporte à l’ame ou à tout autre principe intelligent, rien de plus naturel ; mais voir toujours la même uniformité dans des cas absolument indifférens, voir des simptomes multipliés & dangereux, souvent la mort même succéder aux efforts de ce principe, appellé bienfaisant ; voir des convulsions violentes, quelquefois mortelles, excitées par une cause très-légere ; toutes les puissances du corps déchaînées, la fievre la plus aiguë animée pour détacher l’ongle du doigt dans un panaris ; voir au contraire ces efforts modérés & trop foibles dans une inflammation sourde du foie ; ne pouvoir pas prévenir la suppuration d’un viscere si nécessaire à la santé & à la vie ; voir enfin des inflammations légeres en apparence, suivies bientôt de la mort de la partie ou de tout le corps, par le moyen de ces mouvemens prétendus salutaires ; voir, dis-je, tous ces effets, & les attribuer à un principe aussi bienfaisant qu’intelligent, c’est, à ce qu’il me semble, raisonner bien peu conséquemment.

3°. Dans tout corps vivant & organisé, on observe une propriété singuliere, plus particulierement attachée aux parties musculeuses, que Glisson a le premier démontré dans les animaux, & appellée irritabilité, & qui est connue dans divers écrits sous les noms synonymes de sensibilité, mobilité & contractilité. Elle est telle, que lorsqu’on irrite ces parties, elles se contractent, se roidissent, se mettent en mouvement, & semblent vouloir se délivrer de la cause qui les irrite ; le sang abonde en plus grande quantité & plus vîte au point où l’irritation s’est faite ; ce point-là devient plus rouge & plus saillant, & il s’y forme une inflammation plus ou moins considérable : on en voit quelques traces dans les végétaux ; quoiqu’elle y soit moins sensible, elle y est très assurée. Cette propriété entierement hors du ressort de l’ame, également présente, quoique dans un degré moins fort & moins durable dans les parties séparées du corps, que dans celles qui lui restent unies, est le principe moteur, la nature, l’archée, &c. elle suffit pour expliquer la fievre, l’inflammation & les autres phénomenes de l’économie animale qu’on déduisoit de l’ame ou nature. Voyez Irritabilité, Sensibilité, &c.

Toutes les expériences faites sur les parties contractées ou sensibles des animaux, démontrent que pour faire naître l’inflammation il ne faut qu’augmenter à un certain point la contractilité des petits vaisseaux artériels d’une partie sujette aux lois de la circulation & exposée à l’action des nerfs. L’irritation qui produit cet effet, est cette épine dont parle Vanhelmont, qui attire d’abord à un point le sang qui s’y accumule peu-à-peu tout-à-l’entour, qui s’arrête ensuite dans les petits vaisseaux qui y vont aboutir ; ce qui donne lieu aux symptomes inflammatoires. Cette théorie (si ce que nous venons d’avancer mérite ce nom) n’est qu’un exposé ou un corollaire de ce que les expériences offrent aux yeux les moins attentifs. Voyez Irritabilité & Sensibilité.

Appliquons à présent à cette cause déterminée quelques considérations ou propositions qui nous conduiront à l’examen des causes éloignées évidentes, & dont le développement terminera cette partie.

1°. On croit communément que la stagnation du sang est nécessairement la base de toute inflammation : cette assertion mérite quelqu’éclaircissement ;