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viennent aujourd’hui, que le sang est dans un mouvement continuel de fermentation, semblable, dit-il, à celui qui agite les parties du vin. Si ce mouvement augmente & devient contre-nature, le sang bouillonnera, se raréfiera, excitera la fievre. Or cette fermentation peut augmenter de deux façons ; 1°. par la surabondance de quelques principes actifs, des soufres & des esprits ; par exemple, comme il arrive dans le vin, lorsque le tartre est trop abondant, il s’excite une fermentation, ou plutôt celle qui est toûjours présente, s’anime, devient plus violente. 2°. Lorsque quelque corps étranger, non miscible avec les humeurs, troublera la fermentation ordinaire, l’analogie le conduit encore ici ; si on jette dans un tonneau plein de vin quelque corps hétérogene, du suif, par exemple, la fermentation est réveillée, & par son moyen les parties étrangeres, ou surabondantes qui l’avoient excitée, sont brisées, attenuées, decomposées, renvoyées à la circonférence, ou précipitées sous forme de lie au fond du tonneau. Ne voit-on pas, si l’on veut accuser juste, arriver la même chose dans le sang ? Y a-t-il rien de plus conforme à ce qui se passe dans les fievres putrides simples, ardentes, ou inflammatoires ? C’est avec bien de la raison que Sydenham qui n’envisageoit les maladies que pratiquement, considéroit la fievre sous ce point de vûe, & l’appelloit ébullition, effervescence, mouvement fermentatif, &c. & il partoit de cette idée dans la pratique sûre & heureuse qu’il suivoit. C’est pourtant là cette théorie qui est si fort décreditée aujourd’hui ; il est vrai qu’elle est confondue avec des erreurs, ou des choses moins évidentes ; il est peut-être sûr aussi que le zele pour la fermentation a emporté Willis trop loin ; mais n’est-on pas tombé dans un excès au-moins aussi condamnable, quand on a voulu la rejetter absolument ? L’esprit humain dans ses connoissances & ses opinions, ressemble à un pendule qui s’écarte de côté & d’autre, jusqu’à ce qu’il revienne après bien des oscillations, se reposer à un juste milieu ; nous poussons d’abord à l’excès les opinions nouvelles ; nous les appliquons indifféremment à tous les cas ; prises trop généralement elles deviennent fausses, absurdes ; on le sent, on les abandonne, & au lieu de les restreindre, donnant dans l’écueil opposé, on les quitte entierement. Enfin, après bien des disputes & des discussions, on entrevoit la vérité ; on revient sur ses pas ; on fait revivre les anciennes opinions : souvent bien surpris de répéter en d’autres mots simplement ce qui avoit déjà été dit, on parvient par-là à ce milieu raisonnable, jusqu’à ce qu’une nouvelle révolution, dont les exemples ne sont pas rares en Medecine, fasse recommencer les vibrations. C’est ainsi qu’Hippocrate & Galien ont été regardés pendant long-tems comme les législateurs censés, infaillibles de la Medecine ; ensuite ils ont été persiflés & ridiculisés ; leurs sentimens, leurs observations, ont été regardés comme des faussetés, des chimeres, ou tout au-moins des inutilités. De nos jours en notant leurs erreurs, on a rendu justice à leur mérite, & l’on a vu presque toutes leurs opinions reparoître sous de nouvelles couleurs. La circulation du sang offre un exemple frappant & démonstratif de cette vérité : depuis qu’Harvey eût fait ou illustré par des expériences cette découverte, qui a plus ébloui qu’éclairé, on a été intimement persuadé que le sang suivoit les routes qu’Harvey lui avoit tracées. On commence cependant aujourd’hui à revenir un peu à la façon de penser sur cette matiere des anciens ; le peu d’utilité que cette prétendue découverte a apporté, a dû d’abord inspirer de la méfiance sur sa réalité ; les soupçons ont été principalement confirmés par les mouvemens du cerveau, que le célebre M. de la Mure

a le premier observés & savamment exposés dans un excellent memoire lû à la société royale des Sciences de Montpellier, & inseré dans les Mémoires de l’académie royale des Sciences de Paris, année 1739. On ne tardera pas, je pense, à revenir-de même à l’égard des Chimistes ; le tems de leurs persécutions est passé ; on corrigera les uns, on modérera l’ardeur de ceux qu’un génie trop bouillant ou un enthousiasme fougueux avoit emportés trop loin ; & l’on appliquera de nouveau & avec succès, les principes chimiques mieux constatés & plus connus au corps humain qui en est plus susceptible, que de toutes les démonstrations geométriques, auxquelles on a voulu infructueusement & mal-à-propos le plier & le soumettre.

Il y a tout lieu de croire que la disposition inflammatoire qui est dans le sang, poussée à un certain point, ou mise en jeu par quelque cause procatarctique sur venue, réveille sa fermentation, ou pour parler avec les modernes, son mouvement intestin de putréfaction ; il n’en faut pas davantage pour augmenter sa circulation, soit, comme il est assez naturel de le penser, que la contractilité des organes vitaux, & en conséquence leur action, soit animée par-là, soit que l’augmentation de ce mouvement intestin suffise pour faire la fievre, sans que l’action des vaisseaux y concoure, de même lorsque le vin est agité par une forte fermentation, & qu’il est dans un mouvement rapide, les parois du tonneau n’y contribuent en rien.

Le sang ainsi enflammé, & mû avec rapidité, se portera avec plus d’effort sur les parties qui seront disposées, & s’y dégagera peut-être d’une partie du levain inflammatoire ; il semble en effet que ces inflammations des visceres ou d’autres parties, soient des especes de dépôts salutaires quoiqu’inflammatoires ; ce qui prouve que les visceres sont dans ces maladies pour l’ordinaire réellement enflammées, c’est qu’on y observe 1°. tous les signes de l’inflammation, les mêmes terminaisons par la suppuration, l’induration & la gangrene. La partie où se fera l’inflammation, décidera la qualité & le nombre des symptômes, &c. Ainsi l’inflammation de la substance du cerveau sera accompagnée de foiblesse extrème, de délire continuel, mais sourd, tranquille, d’abolition dans le sentiment & le mouvement, à l’exception d’une agitation involontaire des mains, qu’on nomme carposalgie, tous symptômes dépendans de la sécrétion troublée & interceptée du fluide nerveux ; celle qui aura son siege dans les membranes extrèmement sensibles qui enveloppent le cerveau, entraînera à raison de sa sensibilité des symptômes plus aigus, un délire plus violent : lorsque la maladie inflammatoire portera sur la poitrine, la respiration sera gênée, &c.

Cette croûte blanche, jaune, ou verdâtre qui se forme sur le sang qu’on a tiré des personnes attaquées de ces maladies, paroît n’être qu’un tissu des parties lymphatiques, du suc muqueux, nourricier, dont la sécrétion est empêchée : on observe aussi cette qualité de sang chez les personnes enceintes & autres, où il y a pléthore de suc nourricier ; on pourroit avancer, dit fort ingénieusement M. Bordeu, que le suc muqueux qui nage dans le sang, a quelque rapport au blanc d’œuf qui clarifie une liqueur troublée dans laquelle on le fait bouillir. Ce suc porté dans tous les vaisseaux par le moyen de la fievre, entraîne avec lui toutes les parties d’urine, de bile & d’autres liqueurs excrémenticielles ; il clarifie pour ainsi dire le sang ; c’est ce qui se passe dans les maladies putrides inflammatoires.

Partie thérapeutique. Le diagnostic. Le diagnostic des maladies inflammatoires est très-simple & tout naturel. 1°. Il est facile, en se rappellant ce que