M. Jurin, docteur en Medecine, secrétaire de la société royale, recueillit avec soin, & publia pendant plusieurs années, dans les transactions philosophiques, & d’une maniere fort impartiale, le résultat des expériences de la nouvelle méthode, faites tant dans la Grande-Bretagne que dans la Nouvelle. Angleterre. Rebuté par les contradictions qu’il essuya, il se déchargea sur M. Scheuchzer de la continuation de ce travail, qui consiste dans une nombreuse collection de faits recueillis en différens lieux, attestés par des témoins connus & soigneusement discutés dans de longues listes d’inoculés, ainsi que de morts & de malades de la petite vérole naturelle, & dans des comparaisons raisonnées des unes & des autres. Ces pieces authentiques & le parallele qu’on peut faire par leur moyen des effets de l’une & de l’autre petite vérole, peuvent seules fournir des principes fixes, & servir de guide dans une recherche où la seule théorie pourroit nous égarer. Il n’est pas encore tems d’en tirer les conséquences.
L’écrit déja cité de Timoni sur l’inoculation, avoit été apporté en France en 1718 ou 1719 par le chevalier Sutton, précédemment ambassadeur d’Angleterre à la Porte, & la traduction en avoit été lûe au conseil de régence. Mais les succès de la nouvelle méthode ne furent bien connus parmi nous qu’en 1723, par une lettre imprimée que M. Dodart, premier médecin du Roi, se fit adresser par M. de la Coste, medecin françois, qui arrivoit de Londres. Outre un extrait fort bien fait des relations & calculs publiés jusqu’alors en Angleterre, cette lettre faisoit mention d’une consultation de neuf docteurs de Sorbonne en faveur des expériences de l’inoculation que l’auteur proposoit de faire à Paris. L’aveu de M. Dodart, le suffrage de MM. Chirac, Helvetius & Astruc, cités dans la même lettre, la these de M. Boyer, aujourd’hui doyen de la faculté, soutenue à Montpellier dès 1717, seroient plus que suffisans pour justifier les Medecins françois du reproche qu’on leur a fait de s’être de tout tems opposés à l’inoculation, quand on n’auroit pas vu depuis ce tems M. Senac premier medecin, M. Falconet medecin consultant du Roi, le célebre M. Vernage, M. Lieutaud medecin de Mgr. le duc de Bourgogne, & plusieurs autres, donner à cette méthode des témoignages publics de leur approbation. De quel droit attribueroit-on à tout un corps l’opinion de quelques-uns de ses membres, qui se croient obligés de proscrire sans examen tout ce qui leur paroît nouveau ?
Quelques excès commis par de jeunes gens récemment inoculés, qui payerent leur imprudence de leur vie en 1723, fournirent un prétexte spécieux aux clameurs des ennemis de la nouvelle méthode, dont elles arrêterent les progrès à Londres & dans les colonies angloises. Le bruit qui s’en répandit en France & la mort de M. le duc d’Orléans régent cette même année, empêcherent les expériences qu’on se proposoit de faire. A peine ce prince eut-il les yeux fermés qu’on soutint dans les écoles de Medecine de Paris une thèse remplie d’invectives contre l’inoculation & ses partisans, & dont la conclusion étoit purement théologique : Ergo variolas inoculare nefas. Bien-tôt après, M. Hecquet, ennemi juré de toute nouveauté en Medecine, publia une dissertation anonyme, intitulée : Raisons de doute contre l’inoculation. Paris 1724. Sous ce titre si modéré, l’auteur se déchaînoit avec aveuglement contre la nouvelle pratique ; son respect pour l’antiquité est son plus fort argument ; & son plus grand grief contre l’opération qu’il proscrit, est qu’elle ne ressemble à rien en Medecine, mais bien plûtôt, ajoûte-t-il, à la magie. La relation des succès de la nouvelle méthode par M. Jurin, étoit la meilleure réponse qu’on
pût faire aux déclamations de M. Hecquet. La traduction de l’ouvrage anglois par M. Noguet, medecin de Paris, ne parut qu’en 1725 ; elle étoit précédée d’une apologie de l’inoculation. Le journal des Savans n’en donna qu’un extrait très-superficiel & peu favorable, & ne parla qu’avec dédain & en passant, cette même année, de la lettre de M. de la Coste, publiée depuis deux ans. Celui-ci étant mort à-peu-près en ce tems, & M. Noguet ayant été placé medecin du roi à Saint-Domingue, où il est encore, l’inoculation fut oubliée en France.
Cependant elle faisoit de nouvelles conquêtes en Asie. Une lettre du P. Dentrecolles, missionnaire jésuite à Pekin, imprimée dans le recueil des lettres édifiantes & curieuses, tome XX. nous apprend qu’en 1724 l’empereur de la Chine envoya des médecins de son palais semer la petite vérole artificielle en Tartarie où la naturelle faisoit de grands ravages, & qu’ils revinrent chargés de présens. M. de la Condamine rapporte, dans son voyage de la riviere des Amazones, que vers ce même tems un carme portugais, missionnaire sur les bords de cette riviere, voyant périr tous ses indiens d’une petite vérole épidémique, presque toujours mortelle pour ces peuples, eut recours à l’insertion, qu’il ne connoissoit que par les gazettes, & sauva le reste de son troupeau. Son exemple fut suivi non-moins heureusement par un de ses confreres, missionnaire de Rionegro, & par un chirurgien de la colonie portugaise du Para, dont quelques habitans ont eu depuis recours au même expédient dans une autre épidémie.
En 1728, M. de Voltaire, dans une de ses lettres sur les Anglois, traita de l’inoculation en peu de mots, avec l’énergie & l’agrément que sa plume répand sur tout ce qu’elle effleure. Le moment n’étoit pas favorable : cette opération étoit alors négligée, même en Angleterre.
Une épidémie violente en releva l’usage dans la Caroline en 1738, & bien-tôt dans la Grande-Bretagne, où elle a marché depuis à pas de géant.
En 1746, des citoyens zélés de Londres firent une de ces associations qui ne peuvent avoir pour but que l’amour du bien public, & dont jusqu’ici l’Angleterre seule a donné l’exemple. Ils fonderent à leurs frais une maison de charité pour traiter les pauvres de la petite vérole naturelle, & pour inoculer ceux qui s’offriroient à cette opération. Depuis cette fondation, & depuis qu’on inocule les enfans-trouvés de cette capitale, les avantages de cette pratique sont devenus si palpables, les succès de M. Ramby, premier chirurgien de S. M. B. & de plusieurs célebres inoculateurs, si nombreux & si connus, que cette méthode n’a plus aucun contradicteur à Londres parmi les gens de l’art.
En 1748, M. Tronchin, inspecteur du collége des Medecins d’Amsterdam, introduisit l’inoculation en Hollande, & commença par la pratiquer sur son propre fils. Il en recommanda l’usage à Genève sa patrie, où elle fut adoptée en 1750. Deux des premiers magistrats de cette république en donnerent l’exemple sur leurs filles, âgées de seize ans. Leurs concitoyens les imiterent, & depuis ce tems la méthode de l’insertion y devint commune. Le public fut instruit de ses succès en 1725 par le traité de M. Butini, medecin de Montpellier aggrégé à Genève ; & en 1753, par un mémoire de M. Guiot dans le second tome de l’académie de Chirurgie. Cette même année, au mois d’octobre, M. Gelée, docteur en Medecine, soutint à Caen une thèse en faveur de la petite vérole artificielle.
Ce fut aussi en l’année 1750 que l’inoculation pénétra dans le cœur de l’Italie. Il régnoit alors une violente épidémie sur la frontiere de Toscane & de l’état ecclésiastique. Tous les enfans y succomboient.