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le cliquetis, la luxation, l’anchylose, & l’impuissance des mouvemens.

Mais ces cas rares ne détruisent point le merveilleux appareil des organes de notre charpente ; considérez seulement pour vous en convaincre, l’insertion des muscles à l’aide desquels les jointures se peuvent tirer de différens côtés, selon les fonctions particulieres de leur destination ; la fabrique curieuse des os, la variété de leurs articulations pour exécuter tous les mouvemens de flexion, d’extension, de ressort, de genou, de charniere, de coulisse, de pivot & de roue.

Considérez la force des ligamens pour maintenir les os en respect ; considérez sur-tout les cartilages placés aux extrémités des jointures, leur périchondre, leurs vaisseaux vasculeux, leurs glandes mucilagineuses & huileuses, qui distillent perpétuellement une humeur lubréfiante, pour arroser, nourrir, prévenir les frottemens, & faciliter en toute occasion les mouvemens que nous voulons exécuter.

Enfin la souplesse, la flexibilité à laquelle on peut amener les jointures par un constant exercice mis en usage dès la plus tendre enfance, est une chose si surprenante, qu’on auroit de la peine à l’imaginer si l’on n’en avoit pas le spectacle dans ces personnes qui le donnent aux yeux du peuple pour de l’argent, & à ceux du physicien pour confondre ses connoissances.

Les transactions philosophiques, n. 242, p. 262, parlent d’un Anglois nommé Clarck, qui avoit trouvé sur la fin du dernier siecle le secret de déboiter, de tordre, de luxer, de disloquer la plûpart des jointures de son corps, à un degré de singularité qu’on croyoit impraticable. Il eut une fois le talent de pousser si loin ses distorsions, qu’un fameux chirurgien appellé pour le traiter, après l’avoir attentivement examiné, refusa de l’entreprendre, & déclara que le cas étoit incurable ; mais à peine eut-il prononcé cet arrêt, qu’à son grand étonnement il vit le prétendu malade effacer de lui-même toutes ses distorsions, & lui prouver combien le pouvoir de la nature l’emporte sur celui de l’art. (D. J.)

Jointure, (Ecriture.) se dit aussi dans l’écriture des différentes situations de plume ; à la premiere & seconde jointure du doigt index.

Jointure, chez les Cordonniers, c’est la couture qui joint les deux quartiers du soulier.

Jointure & Jointe, (Maréchal.) se dit pour paturon dans les occasions suivantes ; la jointure grosse, c’est-à-dire, le paturon gros, ce qui est une bonne qualité ; la jointure menue est une mauvaise qualité, sur-tout lorsqu’elle est pliante, c’est-à-dire que le bas du paturon est fort en devant ; la jointure longue ou courte fait dire d’un cheval, qu’il est long ou court jointé. Voyez Jointé.

Jointure, (Peinture.) on appelle jointure en Peinture le lieu où se joignent deux parties différentes de la même figure, comme la jambe avec la cuisse, le bras avec l’avant-bras, &c.

JOINVILLE, (Géog.) petite ville de France en Champagne, dans le Vallage, avec titre de principauté érigée en 1552.

Ceux qui donnent à cette ville une grande ancienneté, & qui en font remonter l’origine à Jovin, lieutenant de Valentinien, empereur d’Occident, l’ont nommée Jovini villa ; ceux au contraire qui rapprochent son origine au siecle de Louis le Gros, c’est-à-dire au XII siecle, & je crois qu’ils ont raison, l’appellent Johannis villa. Elle est sur la Marne, à 6 lieues de S. Dizier, 28. S. E. de Reims, 10 S. O. de Bar-le-Duc, 50 S. E. de Paris. Long. 22. 45. lat. 48. 20.

Charles de Lorraine, cardinal, nâquit à Joinville

le 17 Février 1529 ; on ne peut s’empêcher de vouloir le connoître, quand on considere que cette connoissance fait celle de trois regnes consécutifs, les plus intéressans de notre histoire ; ainsi j’espere qu’on m’excusera, si je m’étends un peu à peindre un homme qui a joué sous ces trois regnes un si grand rôle, & dont la naissance a été si funeste à l’état.

Doué par la nature de grandes qualités, il ne chercha qu’à satisfaire son ardeur insatiable d’acquérir des biens & des honneurs ; il s’insinua par de basses complaisances dans la faveur de la duchesse de Valentinois, maîtresse de Henri II, & qui menoit tout à sa volonté ; son crédit devint sans bornes sous François II, car lui & le duc de Guise, son frere, gouvernoient le royaume à leur fantaisie ; en 1558, ils entammerent des conférences secretes à Péronne avec Granvelle, évêque d’Arras, pour la ruine des Colignis & de leur parti.

La crainte qu’eut le pape d’un concile national en France, l’obligea d’assembler en 1562 un concile général à Trente ; le cardinal de Lorraine s’y rendit avec un train d’une magnificence incroyable ; les légats, les évêques de l’assemblée, les ambassadeurs des ministres étrangers, allerent au-devant de lui pour le recevoir ; sa puissance, son cortège, son génie, causerent de l’ombrage & de la jalousie au pontife de Rome ; il ramassa ses forces, & saisi de crainte, il pria Philippe de le soutenir dans le concile.

Le rang & le pouvoir du cardinal de Lorraine étoient portés si loin, que le connétable Anne de Montmorency lui écrivoit Monseigneur, & signoit, votre très-humble & très-obéissant serviteur ; & le cardinal écrivoit Monsieur le Connétable, & au bas, votre bien bon ami. A la mort de son frere le duc de Guise qu’il apprit étant à Trente, il ne songea qu’à s’accommoder avec le pape, ne soutint plus les libertés de l’église gallicane, & trouva convenable, pour les intérêts de sa maison, de s’humaniser avec sa sainteté.

A son retour de Trente, on lui accorda des gardes, qui non-seulement eurent ordre de l’accompagner jusques dans le Louvre, mais encore de ne le pas quitter à l’autel, & de mêler ainsi l’odeur de la méche parmi l’odeur de l’encens & des parfums sacrés ; privilege assez semblable à celui qu’obtint depuis le cardinal de Richelieu.

En 1572, il se rendit à Rome pour entretenir le pape des grands projets qu’il avoit concertés avec la reine-mere, dont le principal étoit le massacre de la S. Barthélemi ; il fit compter mille écus d’or à un gentilhomme du duc d’Aumale, qui lui en apporta la nouvelle, & se rendit en procession à l’église de S. Louis, où il célébra la messe à ce sujet avec une pompe superbe. Il revint en France en 1574, assista à une des processions de pénitens, établie par Henry III, y prit du froid, de la fievre, & mourut le 23 Décembre, âgé de 55 ans.

Plongé dans la galanterie pendant tout le cours de sa vie, il séduisoit les femmes par sa figure, par son esprit, & plus encore par ses présens. « J’ai oui conter, dit Brantôme, que quand il arrivoit à la cour quelque fille ou dame qui fût belle, il la venoit accoster, & lui disoit qu’il la vouloit dresser ; aussi y en avoit-il peu qui ne fussent obligées de ceder à ses largesses, & peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour femmes ou filles de bien »…

Il n’eut pas son égal en dépenses fastueuses, qui accompagnoient toutes ses actions, & s’étendoient même sur les pauvres & les mendians. Son valet de chambre, qui manioit son argent des menus plaisirs, portoit une grande gibeciere qu’il remplissoit tous les matins de trois ou quatre cent écus, & les