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qui eut pû réparer, par cette attention générale, le mal que fait la guerre, & ils le remercierent comme leur bienfaiteur. On doit encore au lord Anson la meilleure description & la meilleure carte, tant de cette île que de la mer du Sud en général, & les navigateurs qui vont dans cette mer, ne sauroient s’en passer. (D. J.)

Isle flotante, (Géog.) Les histoires de tous les tems sont pleines de relations d’îles flotantes. Les anciens l’ont avancé de Délos, de Thérasie & des Calamines. Pline, liv. III. chap. xxv. fait mention d’une île qui nageoit sur le lac de Cutilie, & qui avoit été découverte par un oracle. Elle se soutient, assure-t-il, sur l’eau, & est non seulement portée de côté & d’autre par les vents, mais même par de simples zéphirs, sans être fixe ni jour ni nuit. Théophraste & Pomponius Méla nous parlent aussi d’îles flotantes en Lydie si mouvantes que la moindre cause les agitoit ; les chassoit, les éloignoit & les rapprochoit. Sénéque n’est pas moins positif sur les îles flotantes d’Italie. Plusieurs de nos modernes ont aussi pris le parti d’en décrire de nouvelles en divers pays du monde.

Je ne répondrai point que tous les faits qu’on cite sont également fabuleux & dénués de tout fondement ; j’oserai dire néanmoins que la plus grande partie sont entierement faux, ou singulierement exagérés. Il est très-ridicule de vouloir nous expliquer comment un grand nombre d’îles, autrefois flotantes, se trouvent si solidement fixées depuis tant de siecles. Laissons donc Callimaque comparer l’île de Délos à une fleur que les vents ont portée sur les ondes. Laissons dire à Virgile que cette île a été long-tems errante au gré des vents, tantôt cachée & ensevelie sous les eaux, tantôt par une révolution contraire, s’élevant au-dessus de ces mêmes eaux ; qu’enfin Jupiter la rendit également immobile & habitable en faveur de Latone, sans permettre qu’elle fût davantage soumise à ses anciens changemens.

Immotamque coli dedit, & contemnere ventos.

Toutes ces peintures sont fort jolies dans la Fable & dans les Poëtes ; mais la Physique n’épouse point de pareilles merveilles.

En effet, tout ce qu’elle voit sous le beau nom d’îles flotantes, n’est autre chose que des concrétions de portions de terre spongieuse, légere, sulfureuse, qui surnagent ou seules, ou entremêlées d’herbes, & de racines de plantes, jusqu’à ce que les vents, les vagues, les torrents, ou le calme, les ayent fixées sur la rive, pour y prendre corps. C’est ce qui arrive le plus communément dans les lacs, comme dans le lac Lomond en Ecosse, où de pareils amas acquierent finalement une étendue assez considérable, se joignent ensemble, touchent le fond d’un bassin qui n’est pas égal, s’y arrêtent, & y font une liaison. Les especes d’îles flotantes qu’on a vû se former pendant quelque tems près de l’île de Santorin, étoient un amas de rochers & de pierres ponces jettées par des volcans sur la surface de l’eau, mais qui n’ont produit aucune île fixe. On sait que les prétendues îles flotantes d’un lac près de Saint-Omer ne sont proprement que des tissus de racines d’herbes mêlées de vase & de terre grasse. Enfin, il ne reste aucune preuve de la vérité des anciennes & des nouvelles relations qui ont été faites de tant d’îles mouvantes ; toutes ces îles ont disparu, & nous ne connoissons plus que des îles fixes. (D. J.)

Isles fortunées (Géog.) voyez au mot Fortunées ; & si vous êtes encore sensible aux charmes de la Poésie, si vous aimez le brillant coloris d’un beau paysage, lisez ici la description que Garth fait

de ces isles : nous n’avons point de peintures de lieux qui soient plus riantes & plus agréables.

The happy isles, where endless pleasures wait,
Are slyl’d by tuneful birds, the fortunate.
Eternal spring with smiling verdure here
Warms the mildair, and crowns the youthfull year ;
From cristal rocks, transparentriv’let flow ;
The rose still blushes, and the vi’lets blow.
The vine undress’d, her swelling clusters bears :
The lab’ring hind ; the mellow olives cheers :
Blossoms and fruit, at once the citron shows,
And as she pays, discovers still she owes ;
Here the glad orange, court the am’rous maid
With golden apples, and a silken shade.
No blast e’er discompose the peaceful sky ;
The spring but murmur, and the Winds but sigh.
Where Flora treads, her zephir garlands flings,
Shaking rich odours from his purple Wings :
And Birds from woodbine bow’rs, and Jess’min groves,
Chaunt their glads nuptials, and unenvy’d loves.
Mild seasons, rising hills, and silent dales,
Cool grottos, silver brooks, and flow’ry vales ;
In this blest climate, all the circling year prevail…

Je ne trouve pas même que la belle description d’Horace, Ode xvj. liv. V. connue de tout le monde, présente un paysage aussi gracieux de ces contrées charmantes, que l’est celui du chevalier Garth. Mais en échange le tableau qu’en fait le poëte latin, est enrichi de tous les ornemens que la Fable & la Poésie pouvoient lui prêter. Ils y sont multipliés avec un goût, une élégance & une force admirables.

Non huc Argoo contendit remige pinus ;
Neque impudica Colchis intulit pedem ;
Non huc Sidonii torserunt cornua nautæ,
Laboriosa nec cohors Ulissei.
Nulla nocent pecori contagia, nullius astri
Gregem oestuosa torret impotentia.
Jupiter illa piæ secrevit littora genti,
Ut inquinavit oere tempus aureum :
Æreo dehinc ferro duravit sæcula.

« Jamais les Argonautes n’entreprirent de faire une descente dans ces îles fortunées. Jamais l’infame Médée n’y mit le pié ; jamais les compagnons d’Ulysse n’y porterent leurs passions avec leurs infortunes. La contagion n’y répandit jamais la mortalité parmi les troupeaux, & nulle constellation maligne ne les dessécha par l’ardeur de ses influences. Sitôt que le siecle d’airain eut altéré la pureté du siecle d’or, & que le siecle de fer eut succédé au siecle d’airain, Jupiter sépara cet heureux pays du reste du monde, pour servir d’asyle à la vertu, &c. »

Cet heureux pays, ces îles fortunées que Jupiter sépara du reste du monde, sont sans doute les îles Canaries, situées à l’occident de l’Afrique, vis-à-du royaume de Suz : tout favorise ce sentiment, & rien ne peut le détruire. Il est assez vraissemblable que les Canaries, les Açores & l’Amérique, sont les restes de cette grande île atlantide de Platon, si fameuse chez les anciens, dont les parties les plus basses furent inondées par l’irruption de la mer Noire qui, s’étant ouvert un passage entre l’Europe & l’Asie, forma d’abord ce que nous appellons la Méditerrannée, & se fit ensuite un canal pour joindre l’Océan, en détachant l’Espagne de l’Afrique. (D. J.)

Isle Gorgone, (Géog.) île de la mer du Sud au Popayan, à 3 deg. de latit. septentrionale ; elle est passablement élevée, & fort remarquable à cause de deux collines qui sont au sommet. Cette île n’est habitée que par de petits singes noirs, & cependant elle est pourvûe de toutes sortes d’arbres, qui ne