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Pour qu’une étoffe soit bien lustrée & bien catie, ce n’est pas assez que les poils en soient tous couchés du même sens, ce qui toutefois produit sur toute l’étendue de la piece, la même réflexion de lumiere : il faut de plus qu’ils ayent entierement perdu leur ressort au point où ils sont pliés ; sans quoi ils se releveront inégalement. La premiere goutte de pluie qui tombera sur l’étoffe, venant à sécher, les poils qu’elle aura touchés, reprendront quelqu’élasticité, se redresseront, & montreront une tache où il n’y a en effet qu’une lumiere réfléchie en cet endroit, autrement qu’ailleurs.

On essaie de prévenir cet inconvénient par l’égalité de la presse ; on réitere le feuilletage, en substituant aux premiers cartons d’autres cartons ou vélins plus lisses & plus fins ; en y ajoutant de loin en loin des plaques de fer ou de cuivre bien chaudes. Malgré cela, il est presqu’impossible de briser entierement le ressort des poils, & de les fixer couchés si parfaitement d’un côté, que, quoi qu’il puisse arriver, ils ne se relevent plus.

Quoique la maniere dont on fabrique les draps, soit mêlés, soit blancs, vienne d’être exposée avec assez d’exactitude & d’étendue, & qu’elle semble devoir former la partie principale de cet article, cependant on fabrique avec la laine peignée une si grande quantité d’étoffes, que ce qui nous en reste à dire, comparé avec ce que nous avons dit des ouvrages faits avec la laine cardée, ne paroîtra ni moins curieux, ni moins important ; c’est l’objet de ce qui va suivre.

Du travail du peigne. Tous les tissus en général pourroient être compris sous le nom d’étoffes ; il y auroit les étoffes en soie, en laine, en poil, en or, en argent, &c. Les draps n’ont qu’une même façon de travail & d’apprêt. Les uns exigent plus de main-d’œuvre, les autres moins ; mais l’espece ne change point, malgré la diversité des noms, relative à la qualité, au prix, aux lieux, aux manufactures, &c.

Les longues broches de fer qui forment le peigne, rangées à deux étages sur une piece de bois avec laquelle un autre de corne s’assemble, & qui les soutient, de la longueur de sept pouces ou environ ; la premiere rangée à vingt-trois broches ; la seconde à vingt-deux un peu moins longues, & posées de maniere que les unes correspondent sur leur rangée, aux intervalles qui séparent les autres sur la leur, servent d’abord à dégager les poils, & à diviser les longs filamens qu’on y passe, de tout ce qui s’y trouve de grossier, d’inégal & d’étranger.

Si la pointe de quelqu’une de ces dents vient à s’émousser à la rencontre de quelque matiere dure qui cede avec peine, on l’aiguise avec une lime douce ; & si le corps de la dent se courbe sous une filasse trop embarrassée, on la redresse avec un petit canon de fer ou de cuivre.

L’application d’un peigne sur un autre, dont les dents s’engagent dans le premier ; l’insertion des fils entre ces deux peignes ; l’attention de l’ouvrier à passer sa matiere entre les dents des peignes en des sens différens, démêlent parfaitement les poils dont chaque peigne a été également chargé.

Ce travail réitéré range le plus grand nombre de poils en longueur, les uns à côté des autres, en couche nécessairement plusieurs sur l’intervalle qui sépare les extrémités des poils voisins, les uns plus hauts, les autres plus bas, dans toute la poignée, selon l’étage des dents qui les saisissent.

Lorsque la laine paroît suffisamment peignée, l’ouvrier accroche le peigne au pilier, pour tirer la plus belle matiere dans une seule longueur, à laquelle il donne le nom de barre ; quant à la partie de laine qui demeure attachée au peigne, on l’appelle retiron, parce qu’étant mêlée avec de la laine nouvelle,

elle est retirée une seconde fois. A cette seconde manœuvre, celle qui reste dans le peigne est appellée peignon, & ne peut être que mélée avec la trame destinée aux étoffes grossieres. Les réglemens ont défendu de la faire entrer dans la fabrication des draps.

On dispose par ce préparatif les poils de la laine peignée, à se tordre les uns sur les autres sans se quitter, quand des mains adroites les tireront sous un volume toujours égal, & les feront rouler uniment sous l’impression circulaire d’un rouet ou d’un fuseau.

Voyez figure 39, le travail du peigne. a, a, a, le fourneau pour chauffer les peignes ; b, b, l’ouverture pour faire chauffer les peignes. c, plaque de fer qui couvre l’entrée du fourneau, & conserve sa chaleur. C’est par le même endroit qu’on renouvelle le charbon. d, piliers qui soutiennent les crochets. e, fig. 42, crochet ou chevre. f, fig. 40, le peigne. g, fig. 39, ouvrier qui peigne. h, ouvrier qui tire la barre quand la laine est peignée. i, petite cuve dans laquelle l’ouvrier teint la laine huilée ou humectée par le savon. K, K, banc sur lequel l’ouvrier est assis en travaillant, & dans la capacité duquel il met le peignon. Fig. 41, canon ou tuyau de fer ou de laiton, pour redresser les broches du peigne, quand elles sont courbées.

Il y a des manufacturiers qui sont dans l’usage de faire teindre les laines avant que de les passer au peigne. D’autres aiment mieux les travailler en blanc, & ne les mettre en teinture qu’en fils ou même en étoffe.

La méthode de teindre en fils est impraticable dans certaines étoffes, telles que les mélangées & les façonnées, &c.

Si l’on teint le fil quand il est filé, les écheveaux ne prendront pas la même couleur ; la teinture agira diversement sur les fils bien tordus & sur ceux qui le sont trop ou trop peu. Il y a des couleurs qui exigent une eau bouillante, dans laquelle les fils se colleront ensemble ; on ne pourra les dévider, & moins encore les mettre en œuvre.

La laine quelque déliée qu’elle soit, est susceptible de plusieurs nuances dans une même couleur.

Mais tout s’égalisera parfaitement par le mélange du peigne & l’attention de l’ouvrier.

Il vaut donc mieux pour la perfection des étoffes fabriquées avec la laine peignée, de faire teindre la matiere avant que de la préparer, à-moins qu’on ne se propose d’avoir des étoffes en blanc qu’on teindra d’une seule couleur, ou noir, ou bleu, ou écarlate, &c.

Les laines teintes seront lavées ; les blanches seront pilotées, puis battues sur les claies & ouvertes-là à grands coups de baguettes.

Ces manœuvres préliminaires que nous avons expliquées plus haut, auront lieu, soit qu’on veuille les peigner ensuite, ou à l’huile ou à l’eau.

Les étoffes fabriquées avec des laines teintes peignées, vont rarement au foulon ; conséquemment il faut les peigner à l’eau : pour les laines blanches & destinées à la fabrication d’étoffes sujettes au foulon, on les peignera à l’huile.

Les laines blanches ou de couleur qui seront peignées sans huile, seront après avoir été battues, trempées dans une cuvette où l’on aura délayé du savon blanc ou autre.

La laine retirée par poignée sera attachée d’une part au crochet dormant du dégraissoir, & de l’autre au crochet mobile, qui tourné sur lui-même, à l’aide des branches du moulinet, la tord & la dégorge.

Voyez fig. 4.3. le dégraissoir que les ouvriers appellent aussi verin. A, A, les montans. B, cro-