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traire, leur mélange avec le petit-lait peut être agréable & salutaire toutes les fois qu’on se propose de rafraîchir & de relâcher. Une légere limonade préparée avec le petit-lait au lieu de l’eau, doit mériter la préférence sur la limonade commune dans les ardeurs d’entrailles & des voies urinaires, avec menace d’inflammation, &c. Une décoction de tamarins dans le petit lait, vaut mieux aussi que la décoction de ces fruits dans l’eau commune, lorsqu’on se propose de lâcher le ventre dans les mêmes cas.

Le petit-lait est regardé, avec raison, comme le premier des remedes relâchans, humectans & adoucissans. On s’en sert efficacement en cette qualité dans toutes les affections des visceres du bas-ventre qui dépendent de tensions spontanées ou nerveuses, ou d’irritations, par la présence de quelque humeur vitiée, ou de quelque poison ou remede trop actif. On le donne par conséquent avec succès dans les maladies hypochondriaques & hystériques, principalement dans les digestions fougueuses, les coliques habituelles d’estomac, manifestement dûes à la tension & à la sécheresse de ce viscere, les flux hémorrhoïdaux irréguliers & douloureux, les jaunisses commençantes & soudaines, le flux hépatiques, les coliques bilieuses, les fleurs blanches, les flux dissentériques, les diarrhées douloureuses, les tenesmes, les superpurgations, &c. Il est regardé aussi comme capable d’étendre sa salutaire influence au-delà des premieres voies, du moins de produire de bons effets dans des maladies qu’on peut regarder comme plus générales que celles dont nous venons de parler. On le donne avec succès dans toutes les fievres aigues, & principalement dans la fievre ardente & dans la fievre maligne.

Il est utile aussi dans tous les cas d’inflammation présente ou imminente des organes particuliers, des parties de la génération ; par exemple, dans les maladies vénériennes inflammatoires, dans l’inflammation d’une partie des intestins, après une blessure ou une opération chirurgicale, dans les ophtalmies exquises, &c.

On peut assurer que dans tous ces cas il est préférable aux émulsions & aux ptisanes mucilagineuses qu’on a coûtume d’employer.

Hoffman remarque (dans sa dissertation sur le petit-lait) que les plus habiles auteurs qui ont traité du scorbut, recommandent le petit-lait contre cette maladie. M. Lind, auteur bien postérieur à Hoffman, qui a composé un traité du scorbut très-complet, le met aussi au rang des remedes les plus efficaces de ce mal.

Fréd. Hoffman attribue encore au petit-lait, d’après Sylvaricus, célebre medecin italien, de grandes vertus contre la manie, certaines menaces de paralysie, l’épilepsie, les cancers des mamelles commençans, &c.

Le petit-lait a beaucoup d’analogie avec le lait d’ânesse. Hippocrate ordonne presque indifféremment le lait d’ânesse ou le petit-lait de chevre ; & Fréd. Hoffman, dans la dissertation que nous avons déja citée plusieurs fois, attribue au petit-lait, sur l’autorité d’Hippocrate, toutes les vertus que cet auteur attribue au lait d’ânesse, lors même qu’il ne propose pas l’alternative de ce remede ou du petit-lait.

En général le petit-lait doit être donné à grandes doses & continué longtems : il faut prendre garde cependant qu’il n’affadisse point l’estomac, c’est-à-dire qu’il ne fasse point perdre l’appétit & qu’il n’abatte point les forces ; car c’est-là son unique, mais très-grave inconvénient. On voit bien au reste que cette considération ne peut avoir lieu que dans les incommodités & les maladies chroniques ; car dans

les cas urgens, tels que les fievres aiguës & les inflammations des visceres, l’appétit & les forces musculaires ne sont pas des facultés que l’on doive se mettre en peine de ménager. Il est encore vrai cependant que dans les fievres aiguës il ne faut pas donner le petit-lait dans le cas de foiblesse réelle.

Petit-lait à l’angloise, ou préparé avec les vins doux. Les Anglois préparent communément le petit-lait en faisant cailler le lait avec le vin d’Espagne ou de Canarie. On nous rapporte même que c’est presque-là l’unique façon dont on prépare ce remede à Londres ; mais nous ne le connoissons en France que sur quelques exposés assez vagues. Les pharmacopées angloises les plus modernes ne font point mention de cette préparation : il est naturel de conjecturer pourtant qu’elle doit varier beaucoup selon la quantité de vin qu’on y employe. Jusqu’à présent ce remede n’a point été reçu en France ; ainsi nous ne saurions prononcer légitimement sur ses propriétés medicinales, qui ne peuvent être établies que sur des observations. Nous osons avancer pourtant que l’usage de mêler une petite quantité de vin d’Espagne à du petit-lait déja préparé, que quelques praticiens de Paris ont tenté avec succès dans les sujets chez qui le petit lait pur avoit besoin d’être aiguisé par quelque substance un peu active ; que cet usage, dis-je, doit paroître préférable à celui du petit lait tiré du lait caillé avec le même vin. Car de la premiere façon, la préparation du vin peut se déterminer bien plus exactement ; & il ne seroit pas difficile, si l’on desiroit une analogie plus parfaite avec la méthode angloise, de l’obtenir, en chauffant le vin qu’on voudroit mêler au petit-lait jusqu’au degré voisin de l’ébullition, ou même jusqu’à une ébullition légere.

Sel ou sucre de lait. Kempfer rapporte que les Brachmanes ont connu autrefois la maniere de faire le sucre de lait ; quoi qu’il en soit, Fabricius Bartholetus, médecin italien, est le premier qui ait fait mention, au commencement du siecle dernier, du sel essentiel de lait, sous le titre de manne ou de nitre du lait. Ettmuler en a donné une description qu’il a empruntée de cet auteur. Testi, médecin vénitien, est le second qui, sur la fin du dernier siecle, a trouvé le moyen de retirer ce sel, & il l’a appellé sucre de lait.

Ce médecin composoit quatre especes de sucre de lait. La premiere étoit fort grasse ; la seconde l’étoit moins, la troisieme ne contenoit presque pas de parties grasses ; la derniere étoit mêlée avec quelques autres médicamens. Ce sel étoit sujet à se rancir comme la graisse des animaux, sur tout lorsqu’on le conservoit dans des vaisseaux fermés, c’est pourquoi l’auteur conseilloit de le laisser exposé à l’air libre.

M. Fickius, en 1710, publia en Allemagne une maniere de faire le sel de lait. Enfin on a poussé en Suisse à sa perfection la maniere de préparer cette espece de sel ; mais on en a tenu la préparation secrete. M. Cartheuzer en a donné une préparation particuliere, qu’il attribue mal-à-propos à Testi ; & que l’auteur, dont nous empruntons ce morceau sur le sucre de lait, a tentée sans succès.

Il y a en Suisse un chimiste nommé Creusius, qui a une maniere admirable de composer ce sel, mais malheureusement il ne fait part de son secret à personne, ce qui est d’autant plus fâcheux, que celui dont il a la propriété est infiniment plus beau que les autres ; il est plus blanc, plus doux ; il se dissout mieux sur la langue.

En attendant qu’il plaise à M. Creusius de publier son secret[1], voici la méthode la meilleure de faire

  1. Il est très vraissemblable que ce secret consiste à dégraisser le sucre de lait, ou à le rafiner par les mêmes moyens