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prend sur son dos pour les voiturer en diligence au fond du palais.

Elle n’est pas moins utile à la déglutition des liquides que des solides. Enfin elle sert tellement à l’action de cracher, que cette action ne peut s’exécuter sans son ministere, soit par le ramas qu’elle fait de la sérosité qui s’est séparée des glandes de la bouche, soit par la disposition dans laquelle elle met la salive qu’elle a ramassée, ou la matiere pituiteuse rejettée par les poumons.

Je sais que M. de Jussieu étant en Portugal en 1717, y vit une pauvre fille alors âgée de 15 ans, née sans langue, & qui s’acquittoit, dit-il, passablement de toutes les fonctions dont nous venons de parler. Elle avoit dans la bouche à la place de la langue, une petite éminence en forme de mamelon, qui s’élevoit d’environ trois ou quatre lignes de hauteur du milieu de la bouche. Il en a fait le récit dans les Mém. de l’acad. des Sciences, ann. 1718.

Le sieur Roland, chirurgien à Saumur, avoit déjà décrit en 1630 une observation semblable dans un petit traité intitulé Aglossostomographie, ou description d’une bouche sans langue, laquelle parloit, & faisoit les autres fonctions de cet organe. La seule différence qui se trouve entre les deux sujets, est que celui dont parle Roland, étoit un garçon de huit à neuf ans, qui par des ulceres survenus dans la petite vérole avoit perdu la langue, au lieu que la fille vûe par M. de Jussieu, étoit née sans en avoir.

Cependant, malgré ces deux observations singulieres, je pense que les personnes à qui il ne reste que la base de la langue ne peuvent qu’ébaucher quelques-uns de ces sons, pour lesquels l’action des levres, & l’application du fond de la langue au palais sont seulement nécessaires ; mais les sons qui ne se forment que par la pointe de la langue, par son recourbement, ou par d’autres mouvemens composés ; ces sortes de sons, dis-je, me paroissent impossibles, quand la langue est mutilée, au point d’être réduite à un petit moignon.

Une langue double n’est pas un moindre obstacle à la parole. Les Transactions philosophiques, Février & Mars 1748, rapportent le cas d’un garçon né avec deux langues. Sa mere ne voulut jamais permettre qu’on lui retranchât ni l’une ni l’autre ; la nature fut plus avisée que cette mere, ou si l’on veut seconda ses vûes. La langue supérieure se dessécha, & se réduisit à la grosseur d’un pois, tandis que l’autre se fortifia, s’aggrandit, & vint par ce moyen à exécuter toutes ses fonctions.

Les éphémerides des curieux de la nature en citant long-tems auparavant, savoir en 1684, le cas d’une fille aimable qui vint au monde avec deux langues, remarquerent que la nature l’auroit plus favorisée en ne lui en donnant qu’une, qu’en multipliant cet organe, puisqu’elle priva cette fille de la parole, dont le beau sexe peut tirer tant d’usages pour son bonheur & pour le nôtre.

Théophile Protospatarius, médecin grec du xj siecle, est le premier qui a regardé la langue comme musculaire ; Jacques Betengarius a connu le premier les glandes sublinguales & leurs conduits ; Malpighi a le premier développé toute la texture de la langue ; Bellini a encore perfectionné ce dévéloppement ; Ruisch s’est attaché à dévoiler la fabrique des mamelons & des houpes nerveuses ; les langues qu’il a injectées, laissent passer la matiere céracée par l’extrémité des poils artériels. Walther a décrit les glandes dont la langue est parsemée, & qui filtrent les sucs destinés à l’humecter continuellement ; enfin Trew a représenté ses conduits salivaires, & ses vaisseaux sanguins. On doit encore consulter sur cet organe le célebre Morgagni, Santorini, & les tables d’Eustache & de Cowper.

La langue de plusieurs animaux a encore occupé les regards de divers anatomistes, & même ils nous en ont donné quelquefois la description, comme s’ils l’avoient tirée de la langue humaine. Mais nous connoissons assez imparfaitement celle des léopards, des lions, des tigres & autres bêtes féroces, qui ont la tunique externe du dessus de la langue hérissée de petites pointes dures, tournées en dedans, différentes de celles de la langue des poissons, dont les pointes sont seulement rangées le long des bords du palais.

Il y a une espece de baleine qui a la langue & le palais si âpre par un poil court & dur, que c’est une sorte de décrotoir. La langue du renard marin est toute couverte de petites pieces osseuses de la grosseur d’une tête d’épingle ; elles sont d’une dureté incroyable, d’une couleur argentine, d’une figure quarrée, & point du-tout piquantes.

Personne jusqu’ici n’a développé la structure de la langue du caméléon ; on sait seulement qu’elle est très longue ; qu’il peut l’allonger, la raccourcir en un instant, & qu’il la darde au dehors comme s’il la crachoit.

A l’égard des oiseaux, il n’y a presque que la langue du pic-verd qu’on ait décrit exactement. Enfin il reste bien des découvertes à faire sur cet organe des animaux de toute espece ; mais comme les maladies & les accidens de la langue humaine nous intéressent encore davantage, nous leur reservons un article à part. (D. J.)

Langue, (Sémiotique.) « Ne vous retirez jamais, conseille fort sagement Bagivi, d’auprès d’un malade sans avoir attentivement examiné la langue ; elle indique plus sûrement & plus clairement que tous ses autres signes, l’état du sang. Les autres signes trompe t souvent, mais ceux ci ne sont jamais, ou que très-rarement fautifs ; & à moins que la couleur, la saveur & autres accidens de la langue ne soient dans leur état naturel, gardez-vous, poursuit-il, d’assurer la guérison de votre malade, sans quoi vous courrez risque de nuire à votre réputation ». prax. medic. lib I. cap. xiij. w 3 Quoiqu’il faille rabattre de ce éloges enthousiastiques, on doit éviter l’excès opposé dans lequel est tombé Santorius, qui regarde l’art de juger par la langue, d’inutile, de nul & purement arbitraire. Il est très certain qu’on peut tirer des différens états & qualités de la langue beaucoup de lumieres pour le diagnostic & le prognostic des maladies aiguës, mais ces signes ne sont pas plus certains que les autres qu’on tire du pouls, des urines, &c. Ainsi on auroit tort de s’y arrêter uniquement. On doit, lorsqu’on veut atteindre au plus haut point de certitude medicinale, c’est-à-dire une grande probabilité, rassembler, combiner & consulter tous les différens signes, encore ne sont ils pas nécessairement infaillibles, mais ils se vérifient le plus ordinairement.

C’est dans la couleur principalement & dans le mouvement de la langue que l’on observe de l’altération dans les maladies aiguë,. 1°. La couleur peut varier de bien des façons ; la langue peut devenir blanche, pâle, jaune, noire, livide, d’un rouge vif, &c. ou fleurie, comme l’appelle Hippocrate. Comme ces couleurs pourroient dépendre de quelque boisson ou aliment précédent, il faut avoir attention lorsque l’on soupçonne pareille cause, de faire laver la bouche au malade ; & quand on examine la langue, on doit la faire sortir autant qu’il est possible, afin d’en voir jusqu’à la racine ; il est même des occasions où il faut regarder par-dessous, car, quelquefois, remarque Hippocrate, lib. II. de morb. la langue est noire dans cette partie, & les veines qui y sont se tuméfient & noircissent.

1°. La tumeur blanche de la langue provient d’une croûte plus ou moins épaisse, qui se forme sur la