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en partage l’harmonie imitative, & les exemples en sont rares dans les meilleurs auteurs ; ce n’est pas qu’elle n’ait différens tons pour les divers sentimens ; mais souvent elle ne peint que par des rapports éloignés, & presque toujours la force d’imitation lui manque. Que si en conservant sa clarté, son élégance & sa pureté, on parvenoit à lui donner la vérité de l’imitation, elle réuniroit sans contredit de très grandes beautés.

Dans les langues des Grecs & des Romains, chaque mot avoit une harmonie reglée, & il pouvoit s’y rencontrer une grande imitation des sons avec les objets qu’il falloit exprimer ; aussi dans les bons ouvrages de l’antiquité, l’on trouve des descriptions pathétiques, pleines d’images, tandis que la langue françoise n’ayant pour toute cadence que la rime, c’est-à-dire la répétition des finales, n’a que peu de force de poësie & de vérité d’imitation. Puis donc qu’elle est dénuée de mots imitatifs, il n’est pas vrai qu’on puisse exprimer presque tout dans cette langue avec autant de justesse & de vivacité qu’on le conçoit.

Le françois manque encore de mots composés, & par conséquent de l’énergie qu’ils procurent ; car une langue tire beaucoup de force de la composition des mots. On exprime en grec, en latin, en anglois, par un seul terme, ce qu’on ne sauroit rendre en françois que par une périphrase.

Il y a pareillement aussi peu de diminutifs dans notre langue, que de composés ; & même la plûpart de ceux que nous employons aujourd’hui, comme cassette, tablette, n’ont plus la signification d’un diminutif de caisse & de table ; car ils ne signifient point une petite caisse ou une petite table. Les seuls diminutifs qui nous restent, peuvent être appellés des diminutifs de choses, & non de terminaisons : bleuâtre, jaunâtre, rougeâtre, sont de ce caractere, & marquent une qualité plus foible dans la chose dont on parle.

Ajoutons, qu’il y a un très-grand nombre de choses essentielles, que la langue françoise n’ose exprimer par une fausse délicatesse. Tandis qu’elle nomme sans s’avilir une chevre, un mouton, une brebis, elle ne sauroit sans se diffamer dans un style un peu noble, nommer un veau, une truie, un cochon. Συβώτης & βουκόλος, sont des termes grecs élégans qui répondent à gardeur de cochons, & à gardeur de bœufs, deux mots que nous employons seulement dans le langage familier.

Il me reste à parler des richesses que la langue françoise a acquises sous le regne de Louis XIV. Elles sont semblables à celles que reçut la langue latine, sous le siecle d’Auguste.

Avant que les Romains s’appliquassent aux Arts & aux Sciences spéculatives, la langue des vainqueurs de toutes les nations manquoit encore d’un prodigieux nombre de termes, qu’elle se procura par les progrès de l’esprit. On voit que Virgile entend l’Agriculture, l’Astronomie, la Musique, & plusieurs autres sciences ; ce n’est pas qu’il en présente des détails hors de propos, tout au contraire, c’est avec un choix brillant, délicat, & instructif.

Les lumieres que les siecles ont amenées, se sont toûjours répandues sur la langue des beaux génies. En donnant de nouvelles idées, ils ont employé les expressions les plus propres à les inculquer, & ont limité les significations équivoques. De nouvelles connoissances, un nouveau sentiment, ont été décorés de nouveaux termes, de nouvelles allusions : ces acquisitions sont très-sensibles dans la langue françoise. Corneille, Descartes, Pascal, Racine, Despréaux, &c. fournissent autant d’époques de nouvelles perfections. En un mot, le dix-septieme & le dix-huitieme siecle ont produit dans notre langue tant d’ouvrages admirables en tout genre, qu’elle est de-

venue nécessairement la langue des nations & des

cours de l’Europe. Mais sa richesse seroit beaucoup plus grande, si les connoissances spéculatives ou d’expériences s’étendoient à ces personnes, qui peuvent donner le ton par leur rang & leur naissance. Si de tels hommes étoient plus éclairés, notre langue s’enrichiroit de mille expressions propres ou figurées qui lui manquent, & dont les savans qui écrivent, sentent seuls le besoin.

Il est honteux qu’on n’ose aujourd’hui confondre le françois proprement dit, avec les termes des Arts & des Sciences, & qu’un homme de la cour se défende de connoître ce qui lui seroit utile & honorable. Mais à quel caractere, dira-t-on, pouvoir distinguer les expressions qui ne seront plus hasardées ? Ce sera sans doute en réfléchissant sur leur nécessité & sur le génie de la langue. On ne peut exprimer une découverte dans un art, dans une science, que par un nouveau mot bien trouvé. On ne peut être ému que par une action ; ainsi tout terme qui porteroit avec soi une image, seroit toûjours digne d’être applaudi ; de-là quelles richesses ne tireroit-on pas des Arts, s’ils étoient plus familiers ?

Avouons la vérité ; la langue des François polis n’est qu’un ramage foible & gentil : disons tout, notre langue n’a point une étendue fort considérable ; elle n’a point une noble hardiesse d’images, ni de pompeuses cadences, ni de ces grands mouvemens qui pourroient rendre le merveilleux ; elle n’est point épique ; ses verbes auxiliaires, ses articles, sa marche uniforme, son manque d’inversions nuisent à l’enthousiasme de la Poésie ; une certaine douceur, beaucoup d’ordre, d’élégance, de délicatesse & de termes naifs, voilà ce qui la rend propre aux scenes dramatiques.

Si du-moins en conservant à la langue françoise son génie, on l’enrichissoit de la vérité de l’imitation, ce moyen la rendroit propre à faire naître les émotions dont nous sommes susceptibles, & à produire dans la sphere de nos organes, le degré de vivacité que peut admettre un langage fait pour des hommes plus agréables que sublimes, plus sensuels que passionnes, plus superficiels que profonds.

Nous supposons en finissant cet article, qu’on a déja lu au mot François, les remarques de M. de Voltaire sur cette langue.

On connoît le dictionnaire de l’académie, dont la nouvelle édition sera plus digne de ce corps.

Les observations & les étymologies de M. Ménage, renferment plusieurs choses curieuses. Mais ce savant n’a pas toûjours consulté l’usage dans ses observations ; & dans ses étymologies, il ne s’est pas toûjours attaché aux lettres radicales, qui sont si propres à dévoiler l’origine des mots, & leurs degrés d’affinité.

Vaugelas tient un des premiers rangs entre nos auteurs de goût, quoi qu’il se soit souvent trompé dans ses remarques & dans ses décisions ; c’est pour cela qu’il faut lui joindre les observations de Corneille & du P. Bouhours, à qui notre langue a beaucoup d’obligations.

Les deux discours de M. l’abbé Dangeau, l’un sur les voyelles, & l’autre sur les consonnes, sont précieux. Le traité d’ortographe de l’abbé Reignier, & celui de Port-Royal, de l’édition de M. Duclos, me semblent tout ce qu’il y a de meilleur en ce genre.

Les synonymes de l’abbé Girard sont instructifs : la Grammaire de M. Restaut a de bons principes sur les accens, la ponctuation, & la prononciation ; mais les écrits de M. du Marsais, grammairien de génie, ont un tout autre mérite ; voyez-en plusieurs morceaux dans cet ouvrage. (D. J.)

Langue des Cantabres, (Hist. des Langues.)