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ception suivante dans l’ame. Un mouvement analogue à la perception premiere de l’ame, est la cause d’un mouvement second analogue à la seconde perception de l’ame. Il faut convenir qu’il est difficile d’appercevoir comment, au milieu de ce double changement, la liberté de l’homme peut se conserver. Les Léibnitiens prétendent que cela n’y fait rien ; le croye qui pourra.

L’ame & l’animal ont la même origine que le monde, & ne finiront qu’avec lui. Les ames spermatiques des animaux raisonnables passent de l’état d’ame sensible à celui plus parfait d’ame raisonnable.

Les ames en général sont des miroirs de l’univers, des images représentatives des choses ; l’ame de l’homme est de plus un miroir représentatif, une image de son Créateur.

Tous les esprits ensemble forment la cité de Dieu, gouvernement le plus partait de tous sous le monarque le plus parfait.

Cette cité, cette monarchie est le monde moral dans le monde naturel. Il y a aussi la même harmonie préétablie entre le regne physique de la nature & le regne moral de la grace, c’est-à-dire entre l’homme & Dieu, considéré, ou comme auteur de la grande machine, ou comme souverain de la cité des esprits.

Les choses, en conséquence de cette hypothèse, conduisent à la grace par les voies de la nature. Ce monde sera détruit & réparé par des moyens naturels, & la punition & le châtiment des esprits aura lieu sans que l’harmonie cesse. Ce dernier événement en sera le complément.

Le Dieu architecte de l’univers, satisfera au Dieu législateur, & les fautes seront punies & les vertus récompensées dans l’ordre de la justice & du méchanisme.

Nous n’avons donc rien de mieux à faire que de fuir le mal & de suivre le bien, convaincus que nous ne pourrions qu’approuver ce qui se passe dans le physique & dans le moral, s’il nous étoit donné d’embrasser le tout.

III. Principes de la théologie naturelle de Léibnitz. En quoi consiste la toute-puissance de Dieu, sinon dans ce que tout dépend de lui, & qu’il ne dépend de rien.

Dieu est indépendant & dans son existence & dans ses actions.

Dans son existence, parce qu’il est nécessaire & éternel.

Dans ses actions, naturellement & moralement ; naturellement, parce qu’il est libre ; moralement, parce qu’il n’a point de supérieur.

Tout dépend de Dieu, & les possibles & les existans.

Les possibles ont leur réalité dans son existence. S’il n’existoit pas, il n’y auroit rien de possible. Les possibles sont de toute éternité dans ses idées.

Les existans dépendent de Dieu, & dans leur existence & dans leurs actions ; dans leur existence, parce qu’il les a créées librement, & qu’il les conserve de même ; dans leurs actions, parce qu’il y concourt, & que le peu de bien qu’elles ont vient de lui.

Le concours de Dieu est ou ordinant ou spécial.

Dieu sait tout, connoît tout, & les possibles & les existans. Les existans dans ce monde, les possibles dans les mondes possibles.

La science des existans passés, présens & futurs, s’appelle science de vision. Elle ne differe point de la science de simple intelligence de ce monde, considéré seulement comme possible, si ce n’est qu’en même tems que Dieu le voit possible, il le voit aussi comme devant être créé.

La science de simple intelligence prise dans un sens plus strict, relativement aux vérités nécessaires & possibles, s’appelle science moyenne, relativement aux vérités possibles & contingentes ; & science de vision, relativement aux vérités contingentes & actuelles.

Si la connoissance du vrai constitue la sagesse, le desir du bien constitue la bonté. La perfection de l’entendement dépend de l’une, la perfection de la volonté dépend de l’autre.

La nature de la volonté suppose la liberté, & la liberté suppose la spontanéité & la délibération, conditions sous lesquelles il y a nécessité.

Il y a deux nécessités, la métaphysique qui implique l’impossibilité d’agir, la morale qui implique inconvénient à agir plûtôt ainsi qu’autrement. Dieu n’a pû se tromper dans le choix. Sa liberté n’en est que plus parfaite. Il y avoit tant d’ordres possibles de choses, différens de celui qu’il a choisi. Louons sa sagesse & sa bonté, & n’en concluons rien contre sa liberté.

Ceux-là se trompent qui prétendent qu’il n’y a de possible que ce qui est.

La volonté est antécédente ou conséquente. Par l’antécédente, Dieu veut que tout soit bien, & qu’il n’y ait point de mal ; par la conséquente, qu’il y ait le bien qui est, & le mal qui est, parce que le tout ne pourroit être autrement.

La volonté antécédente n’a pas son plein effet ; la conséquente l’a.

La volonté de Dieu se divise encore en productive & en permissive. Il produit ses actes, il permet les nôtres.

Le bien & le mal peuvent être considérés sous trois points de vûe, le métaphysique, le physique & le moral. Le métaphysique est relatif à la perfection & à l’imperfection des choses non intelligentes ; le physique, aux commodités & aux incommodités des choses intelligentes ; le moral, à leurs actions vertueuses ou vicieuses.

Dans aucun de ces cas, le mal réel n’est l’objet de la volonté productive de Dieu ; dans le dernier, il l’est de sa volonté permissive. Le bien naît toujours, même quand il permet le mal.

La providence de Dieu se montre dans tous les effets de cet univers. Il n’a proprement prononcé qu’un decret, c’est que tout fût comme il est.

Le decret de Dieu est irrévocable, parce qu’il a tout vû avant que de le porter. Nos prieres & nos travaux sont entrés dans son plan, & son plan a été le meilleur possible.

Soumettons-nous donc aux événemens ; & quelque fâcheux qu’ils soient, n’accusons point son ouvrage ; servons-le, obéissons-lui, aimons-le, & mettons toute notre confiance dans sa bonté.

Son intelligence, jointe à sa bonté, constitue sa justice. Il y a des biens & des maux dans ce monde, & il y en aura dans l’autre ; mais quelque petit que soit le nombre des élus, la peine des malheureux ne sera point à comparer avec la récompense des bienheureux.

Il n’y a point d’objections prises du bien & du mal moral que les principes précédens ne résolvent.

Je ne pense pas qu’on puisse se dispenser de croire que les ames prééxistentes ayent été infectées dans notre premier pere.

La contagion que nous avons contractée, nous a cependant laissé comme les restes de notre origine céleste, la raison & la liberté ; la raison, que nous pouvons perfectionner ; la liberté, qui est exemte de nécessité & de coaction.

La futurition des choses, la préordination des événemens, la préscience de Dieu, ne touchent point à notre liberté.