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avoit appellé Cassius le dernier des Romains. Mais ce seroit être vraiment criminel, j’ai pensé dire vraiment coupable du crime de lèse-majesté, que de corrompre le pouvoir du prince, jusqu’à lui faire changer de nature, parce que ce seroit lui ôter tout ensemble son bonheur, sa tranquillité, sa sûreté, l’affection, & l’obéissance de ses sujets.

Je finis par un trait bien singulier de notre histoire ; Montgommeri pris les armes à la main dans Domfront, fut condamné à la mort en 1574, comme criminel de lese-majesté. On sait que quinze ans auparavant il avoit eu le malheur de tuer Henri II. dans un tournois, & cet ancien accident le conduisit sur l’échafaut ; car pour le crime de lese-majesté dont on l’accusoit par sa prise d’armes, il ne pouvoit en être recherché, en vertu de plusieurs édits, & sur-tout depuis la derniere amnistie ; mais la régente vouloit sa mort à quelque prix que ce fût, & l’on lui accorda cette satisfaction. Exemple mémorable, dit de Thou, pour nous apprendre que dans les coups qui attaquent les têtes couronnées, le hasard seul est criminel, lors même que la volonté est la plus innocente. (D. J.)

Lese-Majesté, (Jurisprud.) Il y a crime de lese-majesté divine & lese-majesté humaine.

Le crime de lese majesté divine est une offense commise directement contre Dieu, telles que l’apostasie, l’hérésie, sortilege, simonie, sacrilege & blaspheme.

Ce crime est certainement des plus détestables, aussi est-il puni grievement, & même quelquefois de mort, ce qui dépend des circonstances. Quelques-uns ont pensé que ce n’étoit par un crime public, & conséquemment que les juges de seigneurs en pouvoient connoître ; mais le bien de l’état demandant que le culte divin ne soit point troublé, on doit regarder ce crime de lese-majesté divine comme un cas royal.

Le crime de lese-majesté humaine est une offense commise contre un roi ou autre souverain : ce crime est aussi très-grave, attendu que les souverains sont les images de Dieu sur terre, & que toute puissance vient de Dieu.

En Angleterre on appelle crime de haute trahison ce que nous appelions crime de lese-majesté humaine.

On distingue, par rapport au crime de lese-majesté humaine, plusieurs chefs ou degrés différens qui rendent le crime plus ou moins grave.

Le premier chef, qui est le plus grave, est la conspiration ou conjuration formée contre l’état ou contre la personne du souverain pour le faire mourir, soit par le fer ou par le feu, par le poison ou autrement.

Le deuxieme chef est lorsque quelqu’un a composé & semé des libelles & placards diffamatoires contre l’honneur du roi, ou pour exciter le peuple à sédition ou rebellion.

La fabrication de fausse monnoie, le duel, l’infraction des saufs-conduits donnés par le prince à l’ennemi, à ses ambassadeurs ou otages, sont aussi considérés des crimes de lese-majesté.

Quelques auteurs distinguent trois ou quatre chefs du crime de lese-majesté, d’autres jusqu’à huit chefs, qui sont autant de cas différens où la majesté du prince est offensée ; mais en fait de crime de lese-majesté proprement dit, on ne distingue que deux chefs, ainsi qu’on vient de l’expliquer.

Toutes sortes de personnes sont reçues pour accusateurs en fait de ce crime, & il peut être dénoncé & poursuivi par toutes sortes de personnes, quand même elles seroient notées d’infamie : le fils même peut accuser son pere & le pere accuser son fils.

On admet aussi pour la preuve de ce crime le témoignage de toutes sortes de personnes, même ceux

qui seroient ennemis déclarés de l’accusé ; mais dans ce cas on n’a égard à leurs dépositions qu’autant que la raison & la justice le permettent : la confession ou déclaration d’un accusé est suffisante dans cette matiere pour emporter condamnation.

Tous ceux qui ont trempé dans le crime de lese-majesté sont punis ; & même ceux qui en ayant connoissance ne l’ont pas revélé, sont également coupables du crime de lese-majesté.

Celui qui ose attenter sur la personne du roi est traité de parricide, parce que les rois sont considérés comme les peres communs de leurs peuples.

Le seul dessein d’attenter quelque chose contre l’état ou contre le prince, est puni de mort lorsqu’il y en a preuve.

On tient communément que la connoissance du crime de lese-majesté au premier chef appartient au parlement, les autres chefs sont seulement réputés cas royaux.

Le crime de lese-majesté au premier chef est puni de la mort la plus rigoureuse, qui est d’être tiré & démembré à quatre chevaux.

L’arrêt du 29 Septembre 1595, rendu contre Jean Chastel, qui avoit blessé Henri IV. d’un coup de couteau au visage, le déclara atteint & convaincu du crime de lese-majesté divine & humaine au premier chef, pour le très-méchant & très-cruel parricide attenté sur la personne du roi. Il fut condamné à faire amende honorable & de dire à genoux que malheureusement & proditoirement il avoit attenté cet inhumain & très-abominable parricide, & blessé le roi d’un couteau en la face, & par de fausses & damnables instructions, il avoit dit être permis de tuer les rois ; & que le roi Henri IV. lors regnant, n’étoit point en l’église jusqu’à ce qu’il eût l’approbation du pape. De là on le conduisit en un tombereau en la place de Greve, où il fut tenaillé aux bras & aux cuisses, & sa main droite tenant le couteau dont il s’étoit efforcé de commettre ce parricide, coupée, & après son corps tiré & démembré avec quatre chevaux & ses membres & corps jettés au feu & consommés en cendres, & les cendres jettées au vent ; ses biens acquis & confisqués au roi. Avant l’exécution il fut appliqué à la question ordinaire & extraordinaire, pour avoir révélation de ses complices. La cour fit aussi défenses à toutes personnes de proférer en aucun lieu de semblables propos, lesquels elle déclara scandaleux, séditieux, contraires à la parole de Dieu, & condamnés comme hérétiques par les saints decrets.

La maison de Jean Chastel, qui étoit devant la porte des Barnabites, fut rasée ; & dans la place où elle étoit on éleva une pyramide avec des inscriptions : elle fut abattue en 1606.

L’arrêt rendu le 27 Mars 1610 contre Ravaillac, pour le parricide par lui commis en la personne du roi Henri IV. fut donné les grand chambre, tournelle & chambre de l’édit assemblées. La peine à laquelle Jean Chastel avoit été condamné fut encore aggravée contre Ravaillac, parce que celui-ci avoit fait mourir le roi. Il fut ordonné que sa main droite seroit brûlée de feu de soufre, & que sur les endroits où il seroit tenaillé il seroit jetté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix-resine bouillante, de la cire & soufre fondus ensemble ; il fut aussi ordonné que la maison où il étoit né seroit démolie, le propriétaire préalablement indemnisé, sans que sur le fonds il pût être à l’avenir construit aucun autre bâtiment ; & que dans quinzaine après la publication de l’arrêt à son de trompe & cri public en la ville d’Angoulême (lieu de sa naissance), son pere & sa mere vuideroient le royaume, avec défenses d’y jamais revenir, à peine d’être pendus & étranglés sans autre forme ni figure de procès. Enfin il fut défendu à ses