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prunté ses paraboles & ses leçons des Thalmudistes, qui n’ont vécu que trois ou quatre cens ans après lui ? Pourquoi veut-on que les Thalmudistes n’ayent pas été ses copistes ? La plûpart des paraboles qu’on trouve dans le Thalmud, sont différentes de celles de l’évangile, & on y a presque toujours un autre but. Celle des ouvriers qui vont tard à la vigne, n’est-elle pas revêtue de circonstances ridicules, & appliquée au R. Bon qui avoit plus travaillé sur la loi en vingt-huit ans, qu’un autre n’avoit fait en cent ? On a recueilli quantité d’expressions & de pensées des Grecs, qui ont rapport avec celles de l’évangile. Dira-t-on pour cela que J. C. ait copié les écrits des Grecs ? On dit que ces paraboles étoient dejà inventées, & avoient cours chez les Juifs avant que J. C. enseignât : mais d’où le sait-on ? Il faut deviner, afin d’avoir le plaisir de faire des Pharisiens autant de docteurs originaux, & de J. C. un copiste qui empruntoit ce que les autres avoient de plus fin & de plus délicat. J. C. suivoit ses idées, & débitoit ses propres pensées ; mais il faut avouer qu’il y en a de communes à toutes les nations, & que plusieurs hommes disent la même chose, sans s’être jamais connus, ni avoir lu les ouvrages des autres. Tout ce qu’on peut dire de plus avantageux pour les Thalmudistes, c’est d’avoir fait des comparaisons semblables à celles de J. C. mais l’application que le fils de Dieu en faisoit, & les leçons qu’il en a tirées, sont toûjours belles & sanctifiantes, au lieu que l’application des autres est presque toûjours puérile & badine.

L’étude de la Philosophie cabalistique fut en usage chez les Juifs, peu de tems après la ruine de Jérusalem. Parmi les docteurs qui s’appliquerent à cette prétendue science, R. Atriba, & R. Simeon Ben Jochaï furent ceux qui se distinguerent le plus. Le premier est auteur du livre Jezivah, ou de la création ; le second, du Sohar, ou du livre de la splendeur. Nous allons donner l’abregé de la vie de ces deux hommes si célebres dans leur nation.

Atriba fleurit peu après que Tite eut ruiné la ville de Jérusalem. Il n’étoit juif que du côté de sa mere, & l’on prétend que son pere descendoit de Lisera, général d’armée de Jabin, roi de Tyr. Atriba vécut à la campagne jusqu’à l’âge de quarante ans, & n’y eut pas un emploi fort honorable, puisqu’il y gardoit les troupeaux de Calba Schuva, riche bourgeois de Jérusalem. Enfin il entreprit d’étudier, à l’instigation de la fille de son maître, laquelle lui promit de l’épouser, s’il faisoit de grands progrès dans les sciences. Il s’appliqua si fortement à l’étude pendant les vingt-quatre ans qu’il passa aux académies, qu’après cela il se vit environné d’une foule de disciples, comme un des plus grands maîtres qui eussent été en Israël. Il avoit, dit-on, jusqu’à vingt-quatre mille écoliers. Il se déclara pour l’imposteur Barcho-chebas, & soutint que c’étoit de lui qu’il falloit entendre ces paroles de Balaam, une étoile sortira de Jacob, & qu’on avoit en sa personne le véritable messie. Les troupes que l’empereur Hadrien envoya contre les Juifs, qui sous la conduite de ce faux messie, avoient commis des massacres épouvantables, exterminerent cette faction. Atriba fut pris & puni du dernier supplice avec beaucoup de cruauté. On lui déchira la chair avec des peignes de fer, mais de telle sorte qu’on faisoit durer la peine, & qu’on ne le fit mourir qu’à petit feu. Il vécut six vingt ans, & fut enterré avec sa femme dans une caverne, sur une montagne qui n’est pas loin de Tibériade. Ses 24 mille disciples furent enterrés au-dessous de lui sur la même montagne. Je rapporte ces choses, sans prétendre qu’on les croye toutes. On l’accuse d’avoir altéré le texte de la bible, afin de pouvoir répondre à une objection des Chrétiens.

En effet jamais ces derniers ne disputerent contre les Juifs plus fortement que dans ce tems-là, & jamais aussi ils ne les combattirent plus efficacement. Car ils ne faisoient que leur montrer d’un côté les évangiles, & de l’autre les ruines de Jérusalem, qui étoient devant leurs yeux, pour les convaincre que J. C. qui avoit si clairement prédit sa désolation, étoit le prophete que Moïse avoit promis. Ils les pressoient vivement par leurs propres traditions, qui portoient que le Christ se manifesteroit après le cours d’environ six mille ans, en leur montrant que ce nombre d’années étoit accompli.

Les Juifs donnent de grands éloges à Atriba ; ils l’appelloient Sethumtaah, c’est-à-dire, l’authentique. Il faudroit un volume tout entier, dit l’un d’eux (Zautus), si l’on vouloit parler dignement de lui. Son nom, dit un autre (Kionig) a parcouru tout l’univers, & nous avons reçu de sa bouche toute la loi orale.

Nous avons dejà dit que Simeon Jochaïdes est l’auteur du fameux livre de Zohar, auquel on a fait depuis un grand nombre d’additions. Il est important de savoir ce qu’on dit de cet auteur & de son livre, puisque c’est-là où sont renfermés les mysteres de la cabale, & qu’on lui donne la gloire de les avoir transmis à la postérité.

On croit que Siméon vivoit quelques années avant la ruine de Jérusalem. Tite le condamna à la mort, mais son fils & lui se déroberent à la persécution, en se cachant dans une caverne, où ils eurent le loisir de composer le livre dont nous parlons. Cependant comme il ignoroit encore diverses choses, le prophete Elie descendoit de tems en tems du ciel dans la caverne pour l’instruire, & Dieu l’aidoit miraculeusement, en ordonnant aux mots de se ranger les uns auprès des autres, dans l’ordre qu’ils devoient avoir pour former de grands mysteres.

Ces apparitions d’Elie & le secours miraculeux de Dieu embarrassent quelques auteurs chrétiens : ils estiment trop la cabale, pour avouer que celui qui en a révélé les mysteres, soit un imposteur qui se vante mal-à-propos d’une inspiration divine. Soutenir que le démon qui animoit au commencement de l’église chrétienne Apollonius de Thyane, afin d’ébranler la foi des miracles apostoliques, répandit aussi chez les Juifs le bruit de ces apparitions fréquentes d’Elie, afin d’empêcher qu’on ne crût celle qui s’étoit faite pour J. C. lorsqu’il fut transfiguré sur le Thabor ; c’est se faire illusion, car Dieu n’exauce point la priere des démons lorsqu’ils travaillent à perdre l’Eglise, & ne fait point dépendre d’eux l’apparition des prophetes. On pourroit tourner ces apparitions en allégories ; mais on aime mieux dire que Siméon Jochaïdes dictoit ces mysteres avec le secours du ciel : c’est le témoignage que lui rend un chrétien (Knorrius) qui a publié son ouvrage.

La premiere partie de cet ouvrage a pour titre Zeniutha, ou mystere, parce qu’en effet on y révéle une infinité de choses. On prétend les tirer de l’Ecriture-sainte, & en effet on ne propose presque rien sans citer quelqu’endroit des écrivains sacrés, que l’auteur explique à sa maniere. Il seroit difficile d’en donner un extrait suivi ; mais on y découvre particulierement le microprosopon, c’est-à-dire le petit visage ; le macroprosopon, c’est-à-dire le long visage ; sa femme, les neuf & les treize conformations de sa barbe.

On entre dans un plus grand détail dans le livre suivant, qu’on appelle le grand sinode. Siméon avoit beaucoup de peine à révéler ces mysteres à ses disciples ; mais comme ils lui représenterent que le secret de l’éternel est pour ceux qui le craignent, & qu’ils l’assurerent tous qu’ils craignoient Dieu, il entra plus hardiment dans l’explication des grandes