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n’ignores pas cependant que j’aime encore mieux surpasser les hommes par la science des choses sublimes, que par la puissance. Adieu ».

Les Romains ne firent qu’imiter les formules des Grecs dans leurs lettres ; elles finissoient de même par le mot vale, portez-vous bien ; elles commençoient semblablement par le nom de celui qui les écrivoit, & par celui de la personne à qui elles étoient adressées. On observoit seulement lorsqu’on écrivoit à une personne d’un rang supérieur, comme à un consul ou à un empereur, de mettre d’abord le nom du consul ou de l’empereur.

Quand un consul ou empereur écrivoit, il mettoit toujours son nom avant celui de la personne à qui il écrivoit. Les lettres des empereurs, pour les affaires d’importance, étoient cachetées d’un double cachet.

Les successeurs d’Auguste ne se contenterent pas de souffrir qu’on leur donnât le titre de seigneurs, dans les lettres qu’on leur adressoit, mais ils agréerent qu’on joignit à leur nom les épithetes magnifiques de très-grand, très-auguste, très-débonnaire, invincible & sacré. Dans le corps de la lettre, on employoit les termes de votre clémence, votre piété, & autres semblables. Par cette nouvelle introduction de formules inouies jusqu’alors, il arriva que le ton noble épistolaire des Romains sous la république ne connut plus sous les empereurs d’autre style, que celui de la bassesse & de la flatterie.

Lettres des Sciences, (Littérat.) l’usage d’écrire des lettres, des épîtres, des billets, des missives, des dépêches, est aussi ancien que l’écriture ; car on ne peut pas douter que dès que les hommes eurent trouvé cet art, ils n’en ayent profité pour communiquer leurs pensées à des personnes éloignées. Nous voyons dans l’Iliade, liv. VI. v. 69, Bellerophon porter une lettre de Proëtus à Jobatès. Il seroit ridicule de répondre que c’étoit un codicile, c’est-à-dire de simples feuilles de bois couvertes de cire, & écrites avec une plume de métal ; car quand on écrivoit des codiciles, on écrivoit sans doute des lettres, & même ce codicile en seroit une essentiellement, si la définition que donne Cicéron d’une épître est juste, quand il dit que son usage est de marquer à la personne à qui elle est adressée, des choses qu’il ignore.

Nous n’avons de vraiment bonnes lettres que celles de ce même Cicéron & d’autres grands hommes de son tems, qu’on a recueillies avec les siennes & les lettres de Pline ; comme les premieres sur-tout sont admirables & même uniques, j’espere qu’on me permettra de m’y arrêter quelques momens.

Il n’est point d’écrits qui fassent tant de plaisir que les lettres des grands hommes ; elles touchent le cœur du lecteur, en déployant celui de l’écrivain. Les lettres des beaux génies, des savans profonds, des hommes d’état sont toutes estimées dans leur genre différent ; mais il n’y eut jamais de collection dans tous les genres égale à celle de Cicéron, soit qu’on considere la pureté du style, l’importance des matieres, ou l’éminence des personnes qui y sont intéressées.

Nous avons près de mille lettres de Cicéron qui subsistent encore, & qu’il fit après l’âge de quarante ans ; cependant ce grand nombre ne fait qu’une petite partie, non seulement de celles qu’il écrivit, mais même de celles qui furent publiées après sa mort par son secrétaire Tyro. Il y en a plusieurs volumes qui se sont perdus ; nous n’avons plus le premier volume des lettres de ce grand homme à Lucinius Calvus ; le premier volume de celles qu’il adressa à Q. Axius ; le second volume de ses lettres à son fils ; un autre second volume de ses lettres à Cornelius Nepos ; le troisieme

livre de celles qu’il écrivit à Jules-César, à Octave, à Pansa ; un huitieme volume de semblables lettres à Brutus ; & un neuvieme à A. Hirtius.

Mais ce qui rend les lettres de Cicéron très-précieuses, c’est qu’il ne les destina jamais à être publiques, & qu’il n’en garda jamais de copies. Ainsi nous y trouvons l’homme au naturel, sans déguisement & sans affectation ; nous voyons qu’il parle à Atticus avec la même franchise, qu’il se parloit à lui-même, & qu’il n’entre dans aucune affaire sans l’avoir auparavant consulté.

D’ailleurs, les lettres de Cicéron contiennent les matériaux les plus authentiques de l’histoire de son siecle, & dévoilent les motifs de tous les grands événemens qui s’y passerent, & dans lesquels il joua lui-même un si beau rôle.

Dans ses lettres familieres, il ne court point après l’élégance ou le choix des termes, il prend le premier qui se présente, & qui est d’usage dans la conversation ; son enjouement est aisé, naturel, & coule du sujet ; il se permet un joli badinage, & même quelquefois des jeux de mots : cependant dans le reproche qu’il fait à Antoine, d’avoir montré une de ses lettres, il a raison de lui dire : « Vous n’ignoriez pas qu’il y a des choses bonnes dans notre société, qui rendues publiques, ne sont que folles ou ridicules ».

Dans ses lettres de complimens, & quelques-unes sont adressées aux plus grands hommes qui vécurent jamais, son desir de plaire y est exprimé de la maniere la plus conforme à la nature & à la raison, avec toute la délicatesse du sentiment & de la diction ; mais sans aucun de ces titres pompeux, de ces épithetes fastueuses que nos usages modernes donnent aux grands, & qu’ils ont marqués au coin de la politesse, tandis qu’ils ne présentent que des restes de barbarisme, fruit de la servitude & de la décadence du goût.

Dans ses lettres politiques, toutes ses maximes sont tirées de la profonde connoissance des hommes, & des affaires. Il frappe toujours au but, prévoit le danger, & annonce les événemens : Quæ nunc usu veniunt, cecinit ut vates, dit Cornelius Nepos.

Dans ses lettres de recommendation, c’est la bienfaisance, c’est le cœur, c’est la chaleur du sentiment qui parle. Voyez Lettre de recommendation.

Enfin, les lettres qui composent le recueil donné sous le nom de Cicéron, me paroissent d’un prix infini en ce point particulier, que ce sont les seuls monumens qui subsistent de Rome libre. Elles soupirent les dernieres paroles de la liberté mourante. La plus grande partie de ces lettres ont paru, si l’on peut parler ainsi, au moment que la république étoit dans la crise de sa ruine, & qu’il falloit enflammer tout l’amour qui restoit encore dans le cœur des vertueux & courageux citoyens pour la défense de leur patrie.

Les avantages de cette conjoncture sauteront aux yeux de ceux qui compareront ces lettres avec celles d’un des plus honnêtes hommes & des plus beaux génies qui se montrerent sous le regne des empereurs. On voit bien que j’entends les lettres de Pline ; elles méritent certainement nos regards & nos éloges, parce qu’elles viennent d’une ame vraiment noble, épurée par tous les agrémens possibles de l’esprit, du savoir & du goût. Cependant, on apperçoit dans le charmant auteur des lettres dont nous parlons, je ne sais quelle stérilité dans les faits, & quelle réserve dans les pensées, qui décelent la crainte d’un maître. Tous les détails du disciple de Quintilien, & toutes ses réflexions, ne portent que sur la vie privée. Sa politique n’a rien de vraiment intéressant ; elle ne développe point le ressort des grandes affaires, ni les motifs des conseils, ni ceux des événemens publics.