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payée dans une autre. Ainsi une lettre tirée de Paris sur Paris, n’est qu’un mandement ordinaire & non une véritable lettre de change.

2°. Il faut que le tireur, c’est-à-dire celui qui donne cette lettre, ait une somme pareille à celle qu’il reçoit entre les mains de la personne sur laquelle il tire ce mandement, ou bien qu’il le tire sur son crédit ; autrement ce ne seroit qu’un simple mandement ou rescription.

3°. Il faut que la lettre de change soit faite dans la forme prescite par l’article premier, du tit. V. de l’ordonnance du mois de Mars 1673, qu’elle porte valeur reçue soit en deniers, marchandises, ou autres effets. C’est ce qui distingue les lettres de change des billets de change qui ne sont point pour valeur fournie en deniers, marchandises, ou autres effets, mais pour lettres de change fournies ou à fournir.

La forme la plus ordinaire d’une lettre de change est telle.

« A Paris, ce premier Janvier 1756.
» Monsieur,

» A vue il vous plaira payer par cette premiere de change à M. Siméon ou à son ordre, la somme de deux mille livres, valeur reçue comptant dudit sieur, ou d’un autre dont on exprime le nom, & mettez à compte, comme par l’avis, &c. »

A Monsieur Hilaire,
à Lyon.
Votre très-humble
serviteur, Lucien.

Le contrat qui se forme par ces lettres entre les différentes personnes qui y ont part, n’a pas été connu des anciens ; car ce qui est dit au digeste de eo quod certo loco dari oportet, & dans plusieurs lois au sujet de ceux que l’on appelloit numularii, argentarii, & trapesitæ, n’a point de rapport avec le change de place en place par lettres, tel qu’il se pratique présentement.

Les anciens ne connoissoient d’autre change que celui d’une monnoie contre une autre ; ils ignoroient l’usage de changer de l’argent contre des lettres.

On est fort incertain du tems où cette maniere de commercer a commencé, aussi-bien que de ceux qui en ont été les inventeurs.

Quelques auteurs, tels que Giovan, Villani, en son histoire universelle, & Savary dans son parfait négociant, attribuent l’invention des lettres de change aux Juifs qui furent bannis du royaume.

Sous le regne de Dagobert I. en 640, sous Philippe Auguste, en 1181, & sous Philippe le Long, en 1316, ils tiennent que ces Juifs s’étant retirés en Lombardie, pour y toucher l’argent qu’ils avoient déposé en sortant de France entre les mains de leurs amis, ils se servirent de l’entremise des voyageurs & marchands étrangers qui venoient en France, auxquels ils donnerent des lettres en style concis, à l’effet de toucher ces deniers.

Cette opinion est réfutée par de la Serra, tant parce qu’elle laisse dans l’incertitude de savoir si l’usage des lettres de change a été inventé dès l’an 640, ou seulement en 1316, ce qui fait une différence de plus de 600 ans, qu’à cause que le bannissement des Juifs étant la punition de leurs rapines & de leurs malversations, leur ayant attiré la haine publique, cet auteur ne présume pas que quelqu’un voulût se charger de leur argent en dépôt, les assister & avoir commerce avec eux, au préjudice des défenses portées par les ordonnances.

Il est cependant difficile de penser que les Juifs n’ayent pas pris des mesures pour recupérer en Lombardie la valeur de leurs biens ; ce qui ne se pouvoit faire que par le moyen des lettres de change. Ainsi il y a assez d’apparence qu’ils en furent les premiers inventeurs.

Les Italiens Lombards qui commerçoient en France, ayant trouvé cette invention propre à couvrir

leurs usures, introduisirent aussi en France l’usage des lettres de change.

De Rubys, en son histoire de la ville de Lyon, page 289, attribue cette invention aux Florentins spécialement, lesquels, dit-il, ayant été chassés de leur pays par les Gibelins, se retirerent en France, où ils commencerent, selon lui, le commerce des lettres de change, pour tirer de leur pays, soit le principal, soit le revenu de leurs biens. Cette opinion est même celle qui paroît la plus probable à de la Serra, auteur du traité des lettres de change.

Il est à croire que cet usage commença dans la ville de Lyon, qui est la ville de commerce la plus proche de l’Italie : & en effet, la place où les marchands s’assemblent dans cette ville pour y faire leurs négociations de lettres de change, & autres semblables, s’appelle encore la place du change.

Les Gibelins chassés d’Italie par la faction des Guelphes, s’étant retirés à Amsterdam, se servirent aussi de la voie des lettres de change pour retirer les effets qu’ils avoient en Italie ; ils établirent donc à Amsterdam le commerce des lettres de change, qu’ils appellerent polizza di cambio. Ce furent eux pareillement qui inventerent le rechange, quand les lettres qui leur étoient fournies revenoient à protêt, prenant ce droit par forme de dommages & intérêts. La place des marchands à Amsterdam, est encore appellée aujourd’hui la place Lombarde, à cause que les Gibelins s’assembloient en ce lieu pour y exercer le change : les négocians d’Amsterdam répandirent dans toute l’Europe le commerce des lettres de change par le moyen de leurs correspondans, & particulierement en France.

Ainsi les Juifs retirés en Lombardie, ont probablement inventé l’usage des lettres de change, & les Italiens & négocians d’Amsterdam en ont établi l’usage en France.

Ce qui est de certain, c’est que les Italiens & particulierement les Génois & les Florentins étoient dans l’habitude, dès le commencement du xiij. siecle, de commercer en France, & de fréquenter les foires de Champagne & de Lyon, tellement que Philippe le bel fit en 1294 une convention avec le capitaine & les corps de ces marchands & changeurs italiens, contenant que de toutes les marchandises qu’ils acheteroient & vendroient dans les foires & ailleurs, il seroit payé au roi un denier par le vendeur & un par l’acheteur ; & que pour chaque livre de petits tournois, à quoi monteroient les contrats de change qu’ils feroient dans les foires de Champagne & de Brie, & dans les villes de Paris & de Nismes, ils payeroient une pite. Cette convention fut confirmée par les rois Louis Hutin, Philippe de Valois, Charles V. & Charles VI.

On voit aussi que dès le commencement du xiv. siecle il s’étoit introduit dans le royaume beaucoup de florins, qui étoient la monnoie de Florence ; ce qui provenoit, sans doute, du commerce que les florentins & autres italiens faisoient dans le royaume.

Mais comme il n’étoit pas facile aux florentins & autres italiens de transporter de l’argent en France pour payer les marchandises qu’ils y achetoient, ni aux françois d’en envoyer en Italie pour payer les marchandises qu’ils tiroient d’Italie, ce fut ce qui donna lieu aux florentins, à autres italiens d’inventer les lettres de change, par le moyen desquelles on fit tenir de l’argent d’un lieu dans un autre sans le transporter.

Les anciennes ordonnances font bien quelque mention de lettres de change, mais elles n’entendent par là que les lettres que le roi accordoit à certaines personnes pour tenir publiquement le change des monnoies ; & dans les lettres-patentes de Philippe de Valois, du 6 Août 1349, concernant les privileges