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à-dire le 17 de Mars. C’étoit le jour auquel les enfans quittoient la robe de l’enfance, & prenoient celle qu’on appelloit toga libera, la toge libre. Voyez Dempster, paral. ad Rosini antiquit. lib. V. cap. 32. (D. J.)

LIBERTÉ, s. f. (Morale.) La liberté réside dans le pouvoir qu’un être intelligent a de faire ce qu’il veut, conformément à sa propre détermination. On ne sauroit dire que dans un sens fort impropre, que cette faculté ait lieu dans les jugemens que nous portons sur les vérités, par rapport à celles qui sont évidentes ; elles entraînent notre consentement, & ne nous laissent aucune liberté. Tout ce qui dépend de nous, c’est d’y appliquer notre esprit ou de l’en éloigner. Mais dès que l’évidence diminue, la liberté rentre dans ses droits, qui varient & se reglent sur les degrés de clarté ou d’obscurité : les biens & les maux en sont les principaux objets. Elle ne s’étend pas pourtant sur les notions générales du bien & du mal. La nature nous a faits de maniere, que nous ne saurions nous porter que vers le bien, & qu’avoir horreur du mal envisagé en général ; mais dès qu’il s’agit du détail, notre liberté a un vaste champ, & peut nous déterminer de bien des côtés différens, suivant les circonstances & les motifs. On se sert d’un grand nombre de preuves, pour montrer que la liberté est une prérogative réelle de l’homme ; mais elles ne sont pas toutes également fortes. M. Turretin en rapporte douze : en voici la liste. 1°. Notre propre sentiment qui nous fournit la conviction de la liberté. 2°. Sans liberté, les hommes seroient de purs automates, qui suivroient l’impulsion des causes, comme une montre s’assujettit aux mouvemens dont l’horloger l’a rendue susceptible. 3°. Les idées de vertu & de vice, de louange & de blâme qui nous sont naturelles, ne signifieroient rien. 4°. Un bienfait ne seroit pas plus digne de reconnoissance que le feu qui nous échauffe. 5°. Tout devient nécessaire ou impossible. Ce qui n’est pas arrivé ne pourroit arriver. Ainsi tous les projets sont inutiles ; toutes les regles de la prudence sont fausses, puisque dans toutes choses la fin & les moyens sont également nécessairement déterminés. 6°. D’où viennent les remords de la conscience, & qu’ai-je à me reprocher si j’ai fait ce que je ne pouvois éviter de faire ? 7°. Qu’est-ce qu’un poëte, un historien, un conquérant, un sage législateur ? Ce sont des gens qui ne pouvoient agir autrement qu’ils ont fait. 8°. Pourquoi punir les criminels, & récompenser les gens de bien ? Les plus grands scélérats sont des victimes innocentes qu’on immole, s’il n’y a point de liberté. 9°. A qui attribuer la cause du péché, qu’à Dieu ? Que devient la Religion avec tous ses devoirs ? 10°. A qui Dieu donne-t-il des lois, fait-il des promesses & des menaces, prépare-t-il des peines & des récompenses ? à de purs machines incapables de choix ? 11°. S’il n’y a point de liberté, d’où en avons-nous l’idée ? Il est étrange que des causes nécessaires nous ayent conduit à douter de leur propre nécessité. 12°. Enfin les fatalistes ne sauroient se formaliser de quoi que ce soit qu’on leur dit, & de ce qu’on leur fait.

Pour traiter ce sujet avec précision, il faut donner une idée des principaux systèmes qui le concernent. Le premier système sur la liberté, est celui de la fatalité. Ceux qui l’admettent, n’attribuent pas nos actions à nos idées, dans lesquelles seules réside la persuasion, mais à une cause méchanique, laquelle entraîne avec soi la détermination de la volonté ; de maniere que nous n’agissons pas, parce que nous le voulons, mais que nous voulons, parce que nous agissons. C’est là la vraie distinction entre la liberté & la fatalité. C’est précisément celle que les Stoïciens reconnoissoient autrefois, & que les Ma-

hométans

admettent encore de nos jours. Les Stoïciens pensoient donc que tout arrive par une aveugle fatalité ; que les événemens se succedent les uns aux autres, sans que rien puisse changer l’étroite chaîne qu’ils forment entr’eux ; enfin que l’homme n’est point libre. La liberté, disoient-ils, est une chimere d’autant plus flateuse, que l’amour-propre s’y prête tout entier. Elle consiste en un point assez délicat, en ce qu’on se rend témoignage à soi-même de ses actions, & qu’on ignore les motifs qui les ont fait faire : il arrive de-là, que méconnoissant ces motifs, & ne pouvant rassembler les circonstances qui l’ont déterminé à agir d’une certaine maniere, chaque homme se félicite de ses actions, & se les attribue.

Le fatum des Turcs vient de l’opinion où ils sont que tout est abreuvé des influences célestes, & qu’elles reglent la disposition future des événemens.

Les Esséniens avoient une idée si haute & si décisive de la providence, qu’ils croyoient que tout arrive par une fatalité inévitable, & suivant l’ordre que cette providence a établi, & qui ne change jamais. Point de choix dans leur système, point de liberté. Tous les événemens forment une chaîne étroite & inaltérable : ôtez un seul de ces événemens, la chaîne est rompue, & toute l’économie de l’univers est troublée. Une chose qu’il faut ici remarquer, c’est que la doctrine qui détruit la liberté, porte naturellement à la volupté ; & qui ne consulte que son goût, son amour-propre & ses penchans, trouve assez de raisons pour la suivre & pour l’approuver : cependant les mœurs des Esséniens & des Stoïciens ne se ressentoient point du désordre de leur esprit.

Spinosa, Hobbes & plusieurs autres ont admis de nos jours une semblable fatalité.

Spinosa a répandu cette erreur dans plusieurs endroits de ses ouvrages ; l’exemple qu’il allegue pour éclaircir la matiere de la liberté, suffira pour nous en convaincre. « Concevez, dit-il, qu’une pierre, pendant qu’elle continue à se mouvoir, pense & sache qu’elle s’efforce de continuer autant qu’elle peut son mouvement ; cette pierre par cela même qu’elle a le sentiment de l’effort qu’elle fait pour se mouvoir, & qu’elle n’est nullement indifférente entre le mouvement & le repos, croira qu’elle est très-libre, & qu’elle persévere à se mouvoir uniquement parce qu’elle le veut. Et voilà quelle est cette liberté tant vantée, & qui consiste seulement dans le sentiment que les hommes ont de leurs appétits, & dans l’ignorance des causes de leurs déterminations ». Spinosa ne dépouille pas seulement les créatures de la liberté, il assujettit encore son Dieu à une brute & fatale nécessité : c’est le grand fondement de son système. De ce principe il s’ensuit qu’il est impossible qu’aucune chose qui n’existe pas actuellement, ait pû exister, & que tout ce qui existe, existe si nécessairement qu’il ne sauroit n’être pas ; & enfin qu’il n’y a pas jusqu’aux manieres d’être, & aux circonstances de l’existence des choses, qui n’ayent dû être à tous égards précisément ce qu’elles sont aujourd’hui. Spinosa admet en termes exprès ces conséquences, & il ne fait pas difficulté d’avouer qu’elles sont des suites naturelles de ses principes.

On peut réduire tous les argumens dont Spinosa & ses sectateurs se sont servis pour soutenir cette absurde hypothèse, à ces deux. Ils disent 1°. que puisque tout effet présuppose une cause, & que, de la même maniere que tout mouvement qui arrive dans un corps lui est causé par l’impulsion d’un autre corps, & le mouvement de ce second par l’impulsion d’un troisieme ; & ainsi chaque volition, & chaque détermination de la volonté de l’homme, doit nécessairement être produite par quelque cause extérieu-