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on rapportoit tout ce que cette image de la divinité dans l’homme leur a fait dire. Il suffit de remarquer qu’au milieu des docteurs qui s’égarent, il y en a plusieurs, comme Maïmonides & Kimki, qui, sans avoir aucun égard au corps du premier homme, la placent dans son ame & dans ses facultés intellectuelles. Le premier avoue qu’il y avoit des docteurs qui croyoient que c’étoit nier l’existence de Dieu, que de soutenir qu’il n’avoit point de corps, puisque l’homme est matériel, & que Dieu l’avoit fait à son image. Mais il remarque que l’image est la vertu spécifique qui nous fait exister, & que par conséquent l’ame est cette image. Il outre même la chose ; car il veut que les Idolâtres, qui se prosternent devant les images, ne leur ayent pas donné ce nom, à cause de quelque trait de ressemblance avec les originaux ; mais parce qu’ils attribuent à ces figures sensibles quelque vertu.

Cependant il y en a d’autres qui prétendent que cette image consistoit dans la liberté dont l’homme jouissoit. Les anges aiment le bien par nécessité ; l’homme seul pouvoit aimer la vertu ou le vice. Comme Dieu, il peut agir & n’agir pas. Ils ne prennent pas garde que Dieu aime le bien encore plus nécessairement que les anges qui pouvoient pécher, comme il paroît par l’exemple des démons ; & que si cette liberté d’indifférence pour le bien est un degré d’excellence, on éleve le premier homme au-dessus de Dieu.

18. Les Antitrinitaires ont tort de s’appuyer sur le témoignage des Juifs, pour prouver qu’Adam étoit né mortel, & que le péché n’a fait à cet égard aucun changement à sa condition ; car ils disent nettement que si nos premiers peres eussent persévéré dans l’innocence, toutes leurs générations futures n’auroient pas senti les émotions de la concupiscence, & qu’ils eussent toujours vêcu. R. Béchaî, disputant contre les philosophes qui défendoient la mortalité du premier homme, soutient qu’il ne leur est point permis d’abandonner la théologie que leurs ancêtres ont puisée dans les écrits des prophetes, lesquels ont enseigné que l’homme eût vêcu éternellement, s’il n’eût point péché. Manasse, qui vivoit au milieu du siecle passé, dans un lieu où il ne pouvoit ignorer la prétention des Sociniens, prouve trois choses qui leur sont directement opposées : 1. que l’immortalité du premier homme, persévérant dans l’innocence, est fondée sur l’Ecriture ; 2. que Hana, fils de Hanina, R. Jéhuda, & un grand nombre de rabbins, dont il cite les témoignages, ont été de ce sentiment ; 3. enfin, il montre que cette immortalité de l’homme s’accorde avec la raison, puisqu’Adam n’avoit aucune cause intérieure qui pût le faire mourir, & qu’il ne craignoit rien du dehors, puisqu’il vivoit dans un lieu très-agréable, & que le fruit de l’arbre de vie, dont il devoit se nourrir, augmentoit sa vigueur.

19. Nous dirons peu de chose sur la création de la femme : peut-être prendra-t-on ce que nous en dirons pour autant de plaisanteries ; mais il ne faut pas oublier une si noble partie du genre humain. On dit donc que Dieu ne voulut point la créer d’abord, parce qu’il prévit que l’homme se plaindroit bientôt de sa malice. Il attendit qu’Adam la lui demandât ; & il ne manqua pas de le faire, dès qu’il eut remarqué que tous les animaux paroissoient devant lui deux à deux. Dieu prit toutes les précautions nécessaires pour la rendre bonne ; mais ce fut inutilement. Il ne voulut point la tirer de la tête, de peur qu’elle n’eût l’esprit & l’ame coquette ; cependant on a eu beau faire, ce malheur n’a pas laissé d’arriver ; & le prophete Isaïe se plaignoit, il y a déja long-tems, que les filles d’Israël alloient la tête levée & la gorge nue. Dieu ne voulut pas la tirer des yeux, de peur qu’elle ne jouât de la prunelle ; cependant Isaïe se plaint

encore que les filles avoient l’œil tourné à la galanterie. Il ne voulut point la tirer de la bouche, de peur qu’elle ne parlât trop ; mais on ne sauroit arrêter sa langue, ni le flux de sa bouche. Il ne la prit point de l’oreille, de peur que ce ne fût une écouteuse ; cependant il est dit de Sara, qu’elle écoutoit à la porte du tabernacle, afin de savoir le secret des anges. Dieu ne la forma point du cœur, de peur qu’elle ne fût jalouse ; cependant combien de jalousies & d’envies déchirent le cœur des filles & des femmes ! Il n’y a point de passion, après celle de l’amour, à laquelle elles succombent plus aisément. Une sœur, qui a plus de bonheur, & sur-tout plus de galans, est l’objet de la haine de sa sœur ; & le mérite ou la beauté sont des crimes qui ne se pardonnent jamais. Dieu ne voulut point former la femme ni des prés ni de la main, de peur qu’elle ne fût coureuse, & que l’envie de dérober ne la prît ; cependant Dina courut & se perdit ; & avant elle, Rachel avoit dérobé les dieux de son pere. On a eu donc beau choisir une partie honnête & dure de l’homme, d’où il semble qu’il ne pouvoit sortir aucun défaut, la femme n’a pas laissé de les avoir tous. C’est la description que les auteurs juifs nous en donnent. Il y a peut-être des gens qui la trouveront si juste, qu’ils ne voudront pas la mettre au rang de leurs visions, & qui s’imagineront qu’ils ont voulu renfermer une vérité connue sous des termes figurés.

Dogmes des Péripatéticiens, adoptés par les Juifs. 1. Dieu est le premier & le suprème moteur des cieux.

2. Toutes les choses créées se divisent en trois classes. Les unes sont composées de matiere & de forme, & elles sont perpétuellement sujettes à la génération & à la corruption ; les autres sont aussi composées de matiere & de forme, comme les premieres ; mais leur forme est perpétuellement attachée à la matiere ; & leur matiere & leur forme ne sont point semblables à celles des autres êtres créés : tels sont les cieux & les étoiles. Il y en a enfin qui ont une forme sans matiere, comme les anges.

3. Il y a neuf cieux, celui de la Lune, celui de Mercure, celui de Venus, celui du Soleil, celui de Mars, celui de Jupiter, celui de Saturne & des autres étoiles, sans compter le plus élevé de tous, qui les enveloppe, & qui fait tous les jours une révolution d’orient en occident.

4. Les cieux sont purs comme du crystal ; c’est pour cela que les étoiles du huitieme ciel paroissent au-dessous du premier.

5. Chacun de ces huit cieux se divise en d’autres cieux particuliers, dont les uns tournent d’orient en occident, les autres d’occident en orient ; & il n’y a point de vuide parmi eux.

6. Les cieux n’ont ni légéreté, ni pesanteur, ni couleur ; car la couleur bleue que nous leur attribuons, ne vient que d’une erreur de nos yeux, occasionnée par la hauteur de l’atmosphere.

7. La terre est au milieu de toutes les spheres qui environnent le monde. Il y a des étoiles attachées aux petits cieux : or ces petits cieux ne tournent point autour de la terre, mais ils sont attachés aux grands cieux, au centre desquels la terre se trouve.

8. La terre est presque quarante fois plus grande que la lune ; & le soleil est cent soixante & dix fois plus grand que la terre. Il n’y a point d’étoile plus grande que le soleil, ni plus petite que Mercure.

9. Tous les cieux & toutes les étoiles ont une ame, & sont doués de connoissance & de sagesse. Ils vivent & ils connoissent celui qui d’une seule parole fit sortir l’univers du néant.

10. Au-dessous du ciel de la lune, Dieu créa une certaine matiere différente de la matiere des cieux ; & il mit dans cette matiere des formes qui ne sont