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plus de tems pour le calcul, parce qu’elles renferment un très-grand nombre d’équations. On assure que M. Clairaut a depuis ce tems perfectionné & simplifié beaucoup ces mêmes tables, mais il n’a encore rien publié de son travail dans le moment où nous écrivons ceci (le 15 Nov. 1759). Pour moi je me suis presque borné à donner d’après ma théorie, des tables de correction pour celle des institutions astronomiques ; mais j’ai reconnu depuis par la comparaison avec les observations & avec les meilleures tables, que ces tables de correction pourroient être perfectionnées à plusieurs égards ; non-seulement je les ai perfectionnées, mais j’ai plus fait, j’ai dressé des tables de la lune entierement nouvelles, dont le calcul est très expéditif, & qui, je crois, répondront assez exactement aux observations. Je n’en dirai pas davantage ici, parce que ces tables auront probablement vû le jour avant que cet article paroisse.

Ces nouvelles tables sont dressées en partie sur les calculs que j’ai faits par théorie, en partie sur la comparaison que j’ai faite de mes premieres tables avec celles de Messieurs le Monnier & Mayer, qui ont été comparées jusqu’ici à un plus grand nombre d’observations que les autres, & qui ont l’avantage de s’en écarter peu, & d’être d’ailleurs les plus expéditives pour le calcul, & les plus familieres aux Astronomes. La raison qui m’a déterminé à ne pas dresser mes tables uniquement d’après la théorie, c’est l’épreuve que j’ai faite par mes propres calculs, & par ceux des autres, de la plûpart des coefficiens des équations lunaires, dont on ne peut, ce me semble, assurer qu’aucun soit exact à une minute près, & peut-être davantage. Cet inconvénient vient 1°. de ce que le nombre de petits termes & de petites quantités qui entrent dans chacun de ces coefficiens est si grand, qu’on n’est jamais assuré de n’en avoir point omis qui puisse produire d’effet sensible. 2°. De ce que plusieurs des series qui expriment les coefficiens sont assez peu convergentes. 3°. Enfin de ce qu’il y a des termes qui étant très-petits dans la différencielle, peuvent devenir très-grands, ou au moins beaucoup plus grands par l’intégration. On peut voir les preuves de tout cela dans mes recherches sur le système du monde, premiere & troisieme parties, & dans un écrit inséré à la fin de la seconde édition de mon traité de dynamique, en réponse à quelques objections qui m’avoient été faites sur ce sujet.

Une des preuves les plus frappantes de ce que j’avance ici sur l’incertitude des coefficiens des équations lunaires, c’est l’erreur où nous avons été long-tems Messieurs Euler, Clairaut & moi, sur le mouvement de l’apogée de la lune. Nous nous étions bornés tous trois à calculer d’abord le premier terme de la serie qui exprime ce mouvement, nous avons trouvé que ce terme ne donnoit que la moitié du mouvement réel de l’apogée, parce que nous supposions tacitement que le reste de la serie pouvoit se négliger par rapport au premier terme ; de-là M. Clairaut avoit conclu que la gravitation n’étoit pas la raison inverse du quarré des distances, mais qu’elle suivoit quelqu’autre loi ; en quoi il faut avouer que sa conclusion a été trop précipitée, puisque quand même le mouvement de l’apogée trouvé par la théorie ne seroit que la moitié de ce qu’il est réellement, on pourroit sans changer la loi d’attraction & y substituer une loi bisarre, attribuer cet effet comme je l’avois imaginé, à quelque cause particuliere différente de la gravitation, comme à la force magnétique, dont M. Newton fait mention expressément. On peut voir dans les mém. de l’acad. des Sciences de 1745, la dispute de Messieurs Clairaut & de Buffon sur ce sujet. On peut aussi consulter l’article Attraction, & mes recherches sur le

système du monde, premiere partie, art. 173. Quoi qu’il en soit, M. Clairaut s’apperçut le premier de l’erreur commune à nos calculs, & me communiqua la remarque qu’il en avoit faite ; on peut en voir le détail dans mes recherches sur le système du monde, art. 107 & suivans. Il m’apprit qu’ayant voulu calculer le second terme de la serie du mouvement de l’apogée, pour connoître à très-peu près ce que le fond de la gravitation donnoit pour le mouvement, il lui étoit venu un second terme qui n’étoit pas fort différent du premier, ce qui rendoit à la gravitation tout son effet pour produire le mouvement entier de l’apogée. Cette remarque, il faut l’avouer, étoit très forte en faveur de la gravitation ; cependant il est évident qu’elle ne suffit pas encore pour décider la question ; car puisque les deux premiers termes de la serie étoient presque égaux, le troisieme pouvoit l’être encore aux deux premiers ; & en ce cas, selon le signe de ce troisieme terme, on auroit trouvé le mouvement de l’apogée beaucoup plus grand ou beaucoup plus court qu’il ne falloit pour la théorie de la gravitation. Il étoit donc absolument nécessaire de calculer ce troisieme terme, & même quelques-uns des suivans, pour s’assurer si la théorie de la gravitation répondoit en effet aux phénomenes ; car jusques-là, je le répete, il n’y avoit encore rien de décidé. J’entrepris donc ce calcul, que jusqu’ici aucun autre géometre n’a fait encore. J’en ai donné le résultat dans mes recherches sur le système du monde, au chap. xx. de la premiere partie, & il en résulte que le mouvement de l’apogée trouvé par la théorie, est tel que les observations le donnent. Voilà ce que l’Astronomie doit à M. Clairaut & à moi sur cette importante matiere.

Une autre remarque qui m’est entierement dûe, & que je communiquai à M. Clairaut au mois de Juin 1748, c’est le calcul des termes, qui dans l’équation de l’orbite lunaire ont pour argument la distance du soleil à l’apogée de la lune. M. Clairaut croyoit alors, faute d’avoir calculé tous les termes essentiels qui entrent dans cette équation, qu’elle montoit à environ 35 ou 40 minutes ; ce qui, comme M. Clairaut le croyoit alors, renversoit entierement la théorie & le système neutonien ; je lui fis voir que cette équation étoit beaucoup moindre, & de deux à trois minutes seulement ; ce qui rétablissoit la théorie dans tous ses droits.

Je ne dois pas oublier d’ajouter 1°. que ma méthode pour déterminer le mouvement de l’apogée, est très-élégante & très-simple, n’ayant besoin d’aucune intégration, & ne demandant que la simple inspection des coefficiens du second terme de l’équation différencielle. 2°. que j’ai démontré le premier par une méthode rigoureuse, ce que personne n’avoit encore fait, & n’a même fait jusqu’ici, que l’équation de l’orbite lunaire ne devoit point contenir d’arcs de cercle ; si on ajoute à cela la maniere simple & facile dont je parviens à l’équation différentielle de l’orbite lunaire, sans avoir besoin pour cela, comme d’autres géometres, de transformations & d’intégrations multipliées ; & le détail que j’ai donné ci-dessus de mes travaux & de ceux des autres géometres, on conviendra, ce me semble, que j’ai eu plus de part à la théorie de la lune que certains mathématiciens n’avoient voulu le faire croire. Je ne dois pas non plus passer sous silence la maniere élégante dont M. Euler integre l’équation de l’orbite lunaire ; méthode plus simple & plus facile que celle de M. Clairaut & que la mienne ; & cette observation jointe à ce que j’ai dit plus haut des travaux de ce grand géometre, par rapport à la lune, suffira pour faire voir qu’il a aussi travaillé très utilement à cette théorie, quoiqu’on ait aussi cherché à le mettre à l’écart autant qu’on l’a pû. L’En-