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le feu très-fort avec les vaisseaux de verre & de terre lutés, & même dans le degré quelconque de feu mis avec les vaisseaux de verre lutés ; cependant les bons artistes n’ont pas absolument besoin de ce secours, du-moins pour les vaisseaux de terre ; & qu’il n’est point de bon ouvrier qui ne se chargeât d’exécuter, avec les vaisseaux de terre non lutés, les opérations qui se sont ordinairement avec ces vaisseaux lutés, il n’auroit besoin pour cela que d’un peu plus d’assiduité auprès de son appareil, & de faire toujours feu lui-même ; au-lieu que communément on se contente de faire entretenir le feu par les apprentifs & les manœuvres. Il faut savoir encore que les vaisseaux de verre très-minces, tels que ceux qu’on appelle dans les boutiques phioles à médecine, peuvent sans être lutés se placer sans ménagement à-travers un brasier ardent.

Cet autre avantage plus essentiel du lut dont on enduit les vaisseaux de verre ou de terre destinés à essuyer un feu très-fort, c’est de les renforcer, de les maintenir, de leur servir pour ainsi dire de supplément ou d’en tenir lieu, lorsque les vaisseaux sont détruits en partie par la violence du feu. Ceci va devenir plus clair par le petit détail suivant : les cornues de verre employées à des distillations qui demandent un feu très violent (à celle du nitre ou du sel marin avec le bol, par exemple), coulent ou se fondent sur la fin de l’opération ; si donc elles n’étoient soutenues par une enveloppe fixe indestructible, par une espece de second vaisseau, il est clair qu’une cornue qui se fond laisseroit répandre, tomber dans le foyer du fourneau les matieres qu’on y avoit renfermées, & qu’ainsi l’opération n’iroit pas jusqu’à la fin. Une bonne couche de lut bien appliquée, exactement moulée sur le vaisseau, devient dans ces cas le second vaisseau, & contient les matieres, qui dans le tems de l’opération, sont toujours seches jusqu’à ce qu’on les ait épuisées par le feu. On lute aussi quelquefois les creusets dans les mêmes vûes, lorsqu’on veut fondre dans ces vaisseaux des matieres très-fondantes, ou douées de la propriété des flux, (voyez Flux & Fondant, Chimie, Métal.) & qui attaquent, entament dans la fonte le creuset même, le pénetrent, le criblent, comme cela arrive souvent en procédant à l’examen des pierres & des terres par la fusion, selon la méthode du célebre M. Pott. Voyez Lithogeognosie, Pierres, Terres.

Le lut à cuirasser les vaisseaux (le terme est technique, du-moins en latin ; loricare, luter, loricatio, action de luter) est diversement décrit dans presque tous les auteurs : mais la base en est toujours une terre argilleuse, dans laquelle on répand uniformément de la paille hachée, de la fiente de cheval, de la filasse, de la bourre, ou autres matieres analogues, pour donner de la liaison au lut, l’empêcher autant qu’il est possible, de se gerser en se dessechant. L’addition de chaux, de sable, de limaille de fer, de litarge, de sang, &c qu’on trouve demandés dans les livres, est absolument inutile. Une argille quelconque, bien pétrie avec une quantité de bourre qu’on apprend facilement à déterminer par l’usage, & qu’il suffit de déterminer fort vaguement, fournit un bon lut, bien adhérent, & soutenant très-bien le feu. On y employe communément à Paris une espece de limon, connu sous le nom vulgaire de terre à four, & qui est une terre argilleuse mêlée de sablon & de marne. Cette terre est très-propre à cet usage ; elle vaut mieux que de l’argille ou terre de potier commune ; mais, encore un coup, cette derniere est très-suffisante.

Ce même lut sert à faire les garnis des fourneaux (voyez Garni), à fermer les jointures des fourneaux à plusieurs pieces, & le vuide qui se trouve

entre les cous des vaisseaux & les bords des ouvertures par lesquelles ces cous sortent des fourneaux ; à bâtir des domes de plusieurs pieces, ou à former avec des morceaux de briques, des débris de vaisseaux, des morceaux de lut secs, &c. des supplémens quelconques à des fourneaux incomplets, délabrés & dont on est quelquefois obligé de se servir ; enfin à bâtir les fourneaux de brique ; car comme dans la construction des fours de boulangers, des fourneaux de cuisine, &c. il ne faut y employer ni mortier ni plâtre. On peut se passer pour ce dernier usage de mêler des matieres filamenteuses à la terre.

Les luts à fermer les jointures des vaisseaux doivent être différens, selon la nature de vapeurs qui doivent parvenir à ces jointures ; car ce n’est jamais qu’à des vapeurs qu’elles sont exposées. Celui qu’on employe à luter ensemble les différentes pieces d’un appareil destiné à la distillation des vapeurs salines, & sur-tout acides, doit être tel que ces vapeurs ne puissent pas l’entamer. Une argille pure, telle que la terre à pipes de Rouen, & la terre qu’on employe à Montpellier & aux environs, à la préparation de la crême de tartre, fournit la base convenable d’un pareil lut : reste à la préparer avec quelque liqueur visqueuse, ténace, qui puisse la réduire en une masse liée, continue, incapable de contracter la moindre gersure, qui soit d’ailleurs souple, ductile, & qui ne se durcisse point assez en se dessechant, pour qu’il soit difficile de la détacher des vaisseaux après l’opération ; car la liaison grossiere & méchanique du lut à cuirasser seroit absolument insuffisante ici, où l’on se propose de fermer tout passage à la vapeur la plus subtile, & ce lut se desseche & se durcit au point qu’on risqueroit de casser les vaisseaux, en voulant enlever celui qui se seroit glissé entre deux.

Le meilleur lut de ce genre que je connoisse, est celui-ci, que j’ai toujours vû employer chez M. Rouelle, sous le nom de lut gras, & que M. Baron propose aussi dans ses notes sur la Chimie de Lémery.

Lut gras. Prenez de terre à pipes de Rouen, ou d’argille très-pure réduite en poudre très-fine, trois livres & demie ; de vernis de succin (voyez Vernis & Succin), quinze onze ; d’huile de lin cuite, sept a huit onces : incorporez exactement ces matieres en les battant long-tems ensemble dans le grand mortier de fer ou de bronze. Pour rendre ce mélange aussi parfait & aussi égal qu’il est possible, on déchire par petits morceaux la premiere masse qu’on a formée, en faisant absorber peu-à-peu tout le vernis & toute l’huile à l’argille ; on jette ces morceaux un à un dans le mortier, & en battant toujours, on les réunit à mesure qu’on les jette. On réitere cette manœuvre cinq ou six fois. On apprend facilement par l’usage à déterminer les proportions des différens ingrédiens, que les artistes exercés n’ont pas besoin de fixer par le poids. Si après avoir fait le mélange par estimation on ne le trouve pas assez collant, on ajoûte du vernis ; si on veut simplement le ramollir, on ajoûte de l’huile ; s’il manque de consistance, on augmente la proportion de la terre.

Ce lut doit être gardé exactement enveloppé d’une vessie. Moyennant cette précaution, il se conserve pendant plusieurs années sans se dessécher. Mais s’il devient enfin trop sec, on le ramollit en le battant dans le mortier avec un peu d’huile de lin cuite.

Un lut qui est éminemment agglutinatif, mais que les acides attaquent, & que les vapeurs aqueuses même détruisent, qui ne peut par conséquent être appliqué que sur un lieu sec & à l’abri de toute vapeur ou liqueur, c’est celui qui résulte du mélange de la chaux en poudre, soit vive, soit éteinte à l’air, & du fromage mou, ou du blanc d’œuf. Une