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cet événement d’une maniere encore plus glorieuse pour ce chef des Hébreux : vie de Moise, publiée par M. Gaulmin, l’an 1629 ; ils disent que Balaam voyant que la verge de Moise convertie en dragon, avoit dévoré les leurs aussi changées en serpens, soutint qu’en cela il n’y avoit point de miracle, puisque le dragon est un animal vorace & carnassier, mais qu’il falloit voir si la verge de bois restant verge mangeroit aussi les leurs ; Moïse accepta le défi, on jetta les verges à terre, celle de Moïse sans changer de forme consuma celles des magiciens.

Les chefs des magiciens de Pharaon ne sont point nommés dans l’exode, mais S. Paul nous a conservé leurs noms ; il les appelle Jamnès & Manbrès : ces mêmes noms se trouvent dans les paraphrases chaldéennes, dans le Talmud, la Gemarre & d’autres livres hébreux ; les rabbins veulent qu’ils ayent été fils du faux prophete Balaam, qu’ils accompagnoient leur pere lorsqu’il vint vers Balac, roi le Moab. Les Orientaux les nomment Sabour & Gadour ; ils les croient venus de la Thébaïde, & disent que leur pere étant mort depuis long-tems, leur mere leur avoit conseillé, avant que de se rendre à la cour, d’aller consulter les manes de leur pere sur le succès de leur voyage ; ils l’évoquerent en l’appellant par son nom, il ouit leur voix & leur répondit, & après avoir appris d’eux le sujet qui les amenoit à son tombeau, il leur dit ; prenez garde si la verge de Moïse & d’Aaron se transformoit en serpent pendant le sommeil de ces deux grands magiciens, car les enchantemens qu’un magicien peut faire, n’ont nul effet pendant qu’il dort ; & sachez, ajoute le mort, que s’il arrive autrement à ceux-ci, nulle créature n’est capable de leur résister. Arrivés à Menphis, Sabour & Gadour apprirent, qu’en effet la verge de Moïse & d’Aaron se changeoit en dragon qui veilloit à leur garde, dès qu’ils commençoient à dormir, & ne laissoit approcher qui que ce fût de leurs personnes ; étonnés de ce prodige, ils ne laisserent pas de se présenter devant le roi avec tous les autres magiciens du pays, qui s’y étoient rendus de toutes parts, & que quelques-uns font monter au nombre de soixante-dix mille ; car Giath & Mossa célebres magiciens, se présenterent aussi devant Pharaon avec une suite des plus nombreuses ; Siméon, chef des magiciens & souverain pontife des Egyptiens, y vint aussi suivi d’un très-grand cortege.

Tous ces magiciens ayant vû que la verge de Moïse s’étoit changée en serpent, jetterent aussi par terre les cordes & baguettes qu’ils avoient remplies de vif-argent ; dès que ces baguettes furent échauffées par les rayons du soleil, elles commencerent à se mouvoir ; mais la verge miraculeuse de Moïse se jetta sur elles & les dévora en leur présence. Les Orientaux ajoutent, si l’on en croit M. Herbelot, que Sabour & Gadour se convertirent, & renoncerent à leur vaine profession en se déclarant pour Moïse ; Pharaon les regardant comme gagnés par les Israëlites pour favoriser les deux freres hébreux, leur fit couper les piés & les mains, & fit attacher leur corps à un gibet.

Les Persans enseignent que Moïse fut instruit dans toutes les sciences des Egyptiens, par Jamnès & Mambrès, voulant réduire tout le miracle à un fait assez ordinaire ; c’est que les disciples vont souvent plus loin que leur maître ; Chardin, voyage de Perse, tom. III. pag. 207.

Pline parle d’une sorte de grands magiciens, qui ont pour chef Moise, Jannès & Jotapel, ou Jocabel, juifs ; il y a toute apparence que par ce dernier il veut désigner Joseph, que les Egyptiens ont toujours regardé comme un de leurs sages les plus célebres.

Daniel parle aussi des magiciens & des devins de Chaldée sous Nabucodonosor : il en nomme de quatre sortes ; Chartumins, des enchanteurs ; Asaphins, des devins interpretes de songes, ou tireurs d’horoscopes ; Mecasphins, des magiciens, des sorciers ou gens qui usoient d’herbes, de drogues particulieres, du sang des victimes & des os des morts pour leurs opérations superstitieuses ; Casdins, des Chaldéens, c’est-à-dire, des astrologues qui prétendoient lire dans l’avenir par l’inspection des astres, la science des augures, & qui se méloient aussi d’expliquer les songes & d’interpréter les oracles. Tous ces honnêtes gens étoient en grand nombre, & avoient dans les cours des plus grands rois de la terre un crédit étonnant ; on ne décidoit rien sans eux ; ils formoient le conseil dont les décisions étoient d’autant plus respectables, qu’étant pour l’ordinaire les ministres de la religion, ils savoient les étayer de son autorité, & qu’ils avoient l’art de persuader à des rois crédules, qui ne connoissoient pas les premiers élémens de la Philosophie, à des peuples si ignorans, qu’à peine se trouvoit-il parmi eux, un esprit assez ami du vrai pour oser douter ; qu’ils avoient, dis-je, l’art de persuader à de tels juges, qu’ils étoient les premiers confidens de leurs dieux : on auroit sans doute peine à croire un renversement d’esprit si incompréhensible, s’il ne nous étoit rapporté par des auteurs dignes de foi, puisqu’on les regarde comme divinement inspirés.

Le peuple juif étoit trop grossier pour s’affranchir de ce joug de la superstition ; il semble au contraire, que la grace que l’Eternel lui faisoit de lui envoyer fréquemment des prophetes pour l’instruire de sa volonté, lui ait tourné en piége à cet égard ; l’autorité de ces prophetes, leurs miracles, le libre accès qu’ils avoient auprès des rois, leur influence dans les délibérations & les affaires publiques, les faisoit considérer par la multitude, & excitoit par-là même l’envie toute naturelle d’avoir part à ces distinctions, & de s’arroger pour cela le don de prophétie ; ensorte que si l’on a dit de l’Egypte, que tout y étoit Dieu, il fut un tems qu’on pouvoit dire de la Palestine que tout y étoit prophete ; parmi ce nombre prodigieux de voyans, il y en eut sans doute plus de faux que de vrais ; les premiers voulurent s’accréditer par des miracles, & cette pieuse obscurité dans les discours qui a toujours fait merveille pour en imposer au peuple, il fallut pour cela avoir recours aux Sciences & aux Arts occultes : la magie fut mise en œuvre, on en vint même à élever autel contre autel ; pour soutenir la gloire des divers objets d’un culte souvent idolâtre, rarement raisonnable, & presque toujours assez superstitieux pour fournir bien des ressources à ceux qui aspiroient à passer pour magiciens.

Ainsi, quoique les lois divines & humaines sévissent contre cet art illusoire, il fut pratiqué dans presque tous les tems par un grand nombre d’imposteurs ; si les tems évangéliques furent féconds en démoniaques, ils ne furent pas stériles en magiciens & devins, il paroît même que ceux qui professoient ces peu philosophiques métiers ne faisoient pas mal leurs affaires, témoins les reproches amers du maître de cette pauvre servante, délivrée d’un esprit de Python, sur la perte considérable que lui causoit cette guérison, vû que son domestique lui valoit beaucoup par ses divinations ; & Simon, ce riche magicien de Samarie, qui par ses enchantemens avoit sçu renverser l’esprit de tout le peuple, se disant être un grand personnage, auquel grands & petits étoient attachés, au point de l’appeller la grande vertu de Dieu. Act. apost. chap. viij. V. 9. & suiv. Au reste, il n’est personne qui n’ait ses apologistes, Judas a eu les siens comme instrument dans la main de Dieu pour