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comme citoyen de n’avoir aucun intérêt si cher qui ne cede au bien public, il contracte par sa charge & son état un nouvel engagement plus étroit encore ; il se dévoue à son roi & à sa patrie, & devient l’homme de l’état : passions, intérêts, préjugés, tout doit être sacrifié. L’intérêt général ressemble à ces courans rapides, qui reçoivent à la vérité dans leur sein les eaux de différens ruisseaux ; mais ces eaux s’y perdent & s’y confondent, & forment en se réunissant un fleuve qu’elles grossissent sans en interrompre le cours.

Si l’on me demandoit quelles vertus sont nécessaires au magistrat, je ferois l’énumération de toutes : mais il en est d’essentielles à son état, & qui, pour ainsi dire, le caractérisent. Telles, par exemple, cet amour de la patrie, passion des grandes ames, ce desir d’être utile à ses semblables & de faire le bien, source intarissable des seuls plaisirs du cœur qui soient purs & exempts d’orages, desir dont la satisfaction fait goûter à un mortel une partie du bonheur de la divinité dont le pouvoir de faire des heureux est sans doute le plus bel apanage.

Il est un temple, & c’est celui de mémoire, que la nature éleva de ses mains dans le cœur de tous les hommes ; la reconnoissance y retrace d’âge en âge les grandes actions que l’amour de la patrie fit faire dans tous les tems. Vous y verrez le consul Brutus offrir à sa patrie d’une main encore fumante le sang de ses enfans versé par son ordre. Quelle est donc la force de cette vertu, qui pour soutenir les lois d’un état, a bien pu faire violer celles de la nature, & donner à la postérité un spectacle qu’elle admire en frémissant ? Vous y verrez aussi Larcher, Brisson, Tardif, victimes de la cause publique & de leur amour pour leur roi légitime, dans ces tems malheureux de séditions & d’horreurs, où le fanatisme déchaîné contre l’état, se baignoit dans les flots du sang qu’il faisoit répandre, garder jusqu’au dernier moment de leur vie la fidélité dûe à leur souverain, & préférer la mort à la honte de trahir leurs sermens. Mânes illustres, je n’entreprendrai pas ici votre éloge ; votre mémoire sera pour moi au nombre de ces choses sacrées auxquelles le respect empêche de porter une main profane.

Magistrat, (Jurisprud.) signifioit anciennement tout officier qui étoit revétu de quelque portion de la puissance publique ; mais présentement par ce terme, on n’entend que les officiers qui tiennent un rang distingué dans l’administration de la justice.

Les premiers magistrats établis chez les Hébreux, furent ceux que Moïse choisit par le conseil de Jéthro son beau-pere, auquel ayant exposé qu’il ne pouvoit soutenir seul tout le poids des affaires, Jéthro lui dit de choisir dans tout le peuple des hommes sages & craignans Dieu, d’une probité connue, & sur-tout ennemis du mensonge & de l’avarice, pour leur confier une partie de son autorité ; de prendre parmi eux des tribuns, des centeniers, des cinquanteniers & dixainiers, ainsi qu’il est dit au xviij. chap. de l’Exode : ceci donne une idée des qualités que doit avoir le magistrat.

Pour faire cet établissement, Moïse assembla tout le peuple ; & ayant choisi ceux qu’il crut les plus propres à gouverner, il leur ordonna d’agir toûjours équitablement, sans nulle faveur ou affection de personnes, & qu’ils lui référeroient des choses difficiles, afin qu’il pût les regler sur leur rapport.

Comme les Israëlites n’avoient alors aucun territoire fixe, il partagea tout le peuple en différentes tribus de mille familles chacune, & subdivisa chaque tribu en d’autres portions de cent, de cinquante, ou de dix familles.

Ces divisions faites, il établit un préfet ou inten-

dant sur chaque tribu, & d’autres officiers d’un

moindre rang sur les subdivisions de cent, de cinquante, & de dix.

Moïse choisit encore par l’ordre de Dieu même, avant la fin de l’année, 70 autres officiers plus avancés en âge, dont il se forma un conseil, & ceux-ci furent nommés seniores & magistri populi ; d’où est sans doute venu dans la suite le terme de magistrats.

Tous ces officiers établis par Moïse dans le desert, subsisterent de même dans la Palestine. Le sanhédrin ou grand-conseil des 70 établit son siége à Jérusalem : ce tribunal souverain, auquel présidoit le grand-prêtre, connoissoit seul de toutes les affaires qui avoient rapport à la religion & à l’observation des lois, des crimes qui méritoient le dernier supplice ou du moins effusion de sang, & de l’appel des autres juges.

Il y eut aussi alors à Jérusalem deux autres tribunaux & un dans les autres villes, pour connoître en premiere instance de toutes les affaires civiles, & de tous les délits autres que ceux dont on a parlé.

Les centeniers, cinquanteniers, dixainiers, eurent chacun l’intendance d’un certain quartier de la capitale.

Les Grecs qui ont paru immédiatement après les Hébreux, & qui avoient été long-tems leurs contemporains, eurent communément pour maxime de partager l’autorité du gouvernement & de la magistrature entre plusieurs personnes.

Les républiques prenoient de plus la précaution de changer souvent de magistrats, dans la crainte que s’ils restoient trop long-tems en place, ils ne se rendissent trop puissans & n’entreprissent sur la liberté publique.

Les Athéniens qui ont les premiers usé de cette politique, choisissoient tous les ans 500 de leurs principaux citoyens, dont ils formoient le sénat qui devoit gouverner la république pendant l’année.

Ces 500 sénateurs étoient distribués en dix classes de 50 chacune, que l’on appelloit prytanes ; chaque prytane gouvernoit l’état pendant 35 jours.

Des 50 qui gouvernoient pendant ce tems, on en tiroit toutes les semaines dix, qui étoient qualifiés de présidens ; & de ces dix on en choisissoit sept qui partageoient entre eux les jours de la semaine, & tout cela se tiroit au sort. Celui qui étoit de jour, se nommoit archi, prince ou premier ; les autres formoient son conseil.

Ils suivoient à-peu-près le même ordre pour l’administration de la justice : au commencement de chaque mois, lorsqu’on avoit choisi la cinquantaine qui devoit gouverner la république, on choisissoit ensuite un magistrat dans chaque autre cinquantaine. De ces neuf magistrats appellés archontes, trois étoient tirés au sort pour administrer la justice pendant le mois ; l’un qu’on appelloit préfet ou gouverneur de la ville, présidoit aux affaires des particuliers, & à l’exécution des lois pour la police & le bien public ; l’autre nommé βασιλεύς, roi, avoit l’intendance & la jurisdiction sur tout ce qui avoit rapport à la religion, le troisieme appellé polemarchus, connoissoit des affaires militaires & de celles qui survenoient entre les citoyens & les étrangers ; les six autres archontes servoient de conseil aux trois premiers.

Il y avoit encore quelques autres tribunaux inférieurs pour différentes matieres civiles & criminelles ; ils changeoient aussi de juges les uns tous les mois, les autres tous les ans.

Tous ces tribunaux n’étoient chargés de la police que pour l’exécution ; la connoissance principale en étoit réservée au sénat de l’Aréopage, qui étoit le seul tribunal composé de juges fixes & perpétuels ; on les choisissoit entre les principaux citoyens qui