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pour lui. Dès-lors ils espérerent la conquête du monde. Mahomet prit la Mecque, vit ses persécuteurs à ses piés, conquit en neuf ans, par la parole & par les armes, toute l’Arabie, pays aussi grand que la Perse, & que les Perses ni les Romains n’avoient pû soumettre.

Dans ces premiers succès, il avoit écrit au roi de Perse Cosroès II, à l’empereur Héraclius, au prince des Coptes gouverneur d’Egypte, au roi des Abissins, & à un roi nommé Mandar, qui régnoit dans une province près du golfe persique.

Il osa leur proposer d’embrasser sa religion ; & ce qui est étrange, c’est que de ces princes il y en eut deux qui se firent mahométans. Ce furent le roi d’Abissinie & ce Mandar. Cosroès déchira la lettre de Mahomet avec indignation. Héraclius répondit par des présens. Le prince des Coptes lui envoya une fille qui passoit pour un chef-d’œuvre de la nature, & qu’on appelloit la belle Marie.

Mahomet au bout de neuf ans se croyant assez fort pour étendre ses conquêtes & sa religion chez les Grecs & chez les Perses, commença par attaquer la Syrie, soumise alors à Héraclius, & lui prit quelques villes. Cet empereur entêté de disputes métaphysiques de religion, & qui avoit embrassé le parti des Monothélites, essuya en peu de tems deux propositions bien singulieres ; l’une de la part de Cosroès II. qu’il avoit long-tems vaincu, & l’autre de la part de Mahomet. Cosroès vouloit qu’Héraclius embrassât la religion des Mages, & Mahomet qu’il se fît musulman.

Le nouveau prophete donnoit le choix à ceux qu’il vouloit subjuguer, d’embrasser sa secte ou de payer un tribut. Ce tribut étoit réglé par l’alcoran à treize dragmes d’argent par an pour chaque chef de famille. Une taxe si modique est une preuve que les peuples qu’il soumit étoient très-pauvres. Le tribut a augmenté depuis. De tous les législateurs qui ont fondé des religions, il est le seul qui ait étendu la sienne par les conquêtes. D’autres peuples ont porté leur culte avec le fer & le feu chez des nations étrangeres ; mais nul fondateur de secte n’avoit été conquérant. Ce privilege unique est aux yeux des Musulmans l’argument le plus fort, que la Divinité prit soin elle-même de seconder leur prophete.

Enfin Mahomet, maître de l’Arabie & redoutable à tous ses voisins, attaqué d’une maladie mortelle à Médine, à l’âge de soixante-trois ans & demi, voulut que ses derniers momens parussent ceux d’un héros & d’un juste : « que celui à qui j’ai fait violence & injustice paroisse, s’écria-t-il, & je suis prêt de lui faire réparation ». Un homme se leva qui lui redemanda quelque argent ; Mahomet le lui fit donner, & expira peu de tems après, regardé comme un grand homme par ceux même qui savoient qu’il étoit un imposteur, & révéré comme un prophete par tout le reste.

Les Arabes contemporains écrivirent sa vie dans le plus grand détail. Tout y ressent la simplicité barbare des tems qu’on nomme héroïques. Son contrat de mariage avec sa premiere femme Cadischée, est exprimé en ces mots : « attendu que Cadischée est amoureuse de Mahomet, & Mahomet pareillement amoureux d’elle ». On voit quels repas apprêtoient ses femmes, & on apprend le nom de ses épées & de ses chevaux. On peut remarquer surtout dans son peuple des mœurs conformes à celles des anciens Hébreux (je ne parle que des mœurs), la même ardeur à courir au combat au nom de la Divinité, la même soif du butin, le même partage des dépouilles, & tout se rapportant à cet objet.

Mais en ne considérant ici que les choses humaines, & en faisant toujours abstraction des ju-

gemens de Dieu & de ses voies inconnues, pourquoi

Mahomet & ses successeurs, qui commencerent leurs conquêtes précisément comme les Juifs, firent-ils de si grandes choses, & les Juifs de si petites ? Ne seroit-ce point parce que les Musulmans eurent le plus grand soin de soumettre les vaincus à leur religion, tantôt par la force, tantôt par la persuasion ? Les Hébreux au contraire n’associerent guere les étrangers à leur culte ; les Musulmans arabes incorporerent à eux les autres nations ; les Hébreux s’en tinrent toujours séparés. Il paroît enfin que les Arabes eurent un enthousiasme plus courageux, une politique plus généreuse & plus hardie. Le peuple hébreux avoit en horreur les autres nations, & craignoit toujours d’être asservi. Le peuple arabe au contraire voulut attirer tout à lui, & se crut fait pour dominer.

La derniere volonté de Mahomet ne fut point exécutée. Il avoit nommé Aly son gendre & Fatime sa fille pour les héritiers de son empire : mais l’ambition qui l’emporte sur le fanatisme même, engagea les chefs de son armée à déclarer calife, c’est-à-dire, vicaire du prophete, le vieux Abubéker son beau-pere, dans l’espérance qu’ils pourroient bien-tôt eux-mêmes partager la succession : Aly resta dans l’Arabie, attendant le tems de se signaler.

Abubéker rassembla d’abord en un corps les feuilles éparses de l’alcoran. On lut en présence de tous les chefs les chapitres de ce livre, & on établit son authenticité invariable.

Bien-tôt Abubéker mena ses Musulmans en Palestine, & y défit le frere d’Héraclius. Il mourut peu-après avec la réputation du plus généreux de tous les hommes, n’ayant jamais pris pour lui qu’environ quarante sols de notre monnoie par jour de tout le butin qu’on partageoit, & ayant fait voir combien le mépris des petits intérêts peut s’accorder avec l’ambition que les grands intérêts inspirent.

Abubéker passe chez les Mahométans pour un grand homme & pour un Musulman fidele. C’est un des saints de l’alcoran. Les Arabes rapportent son testament conçu en ces termes : « au nom de Dieu très-miséricordieux, voici le testament d’Abubéker fait dans le tems qu’il alloit passer de ce monde à l’autre, dans le tems où les infideles croient, où les impies cessent de douter, & où les menteurs disent la vérité ». Ce début semble être d’un homme persuadé ; cependant Abubéker, beau-pere de Mahomet, avoit vû ce prophete de bien près. Il faut qu’il ait été trompé lui-même par le prophete, ou qu’il ait été le complice d’une imposture illustre qu’il regardoit comme nécessaire. Sa place lui ordonnoit d’en imposer aux hommes pendant sa vie & à sa mort.

Omar, élu après lui, fut un des plus rapides conquérans qui ait désolé la terre. Il prend d’abord Damas, célebre par la fertilité de son territoire, par les ouvrages d’acier les meilleurs de l’Univers, par ces étoffes de soie qui portent encore son nom. Il chasse de la Syrie & de la Phénicie les Grecs qu’on appelloit Romains. Il reçoit à composition, après un long siége, la ville de Jérusalem, presque toute occupée par des étrangers qui se succéderent les uns aux autres, depuis que David l’eut enlevée à ses anciens citoyens.

Dans le même tems, les lieutenans d’Omar s’avançoient en Perse. Le dernier des rois persans, que nous appellons Hormidas IV. livre bataille aux Arabes à quelques lieues de Madain, devenue la capitale de cet empire ; il perd la bataille & la vie. Les Perses passent sous la domination d’Omar plus facilement qu’ils n’avoient subi le joug d’Alexandre. Alors tomba cette ancienne religion des Ma-