Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/132

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LUI. — Oui, quand on excelle ; mais qu’est-ce qui peut se promettre de son enfant qu’il excellera ? Il y a dix mille à parier contre un qu’il ne sera qu’un misérable racleur de cordes comme moi. Savez-vous qu’il serait peut-être plus aisé de trouver un enfant propre à gouverner un royaume, à faire un grand roi, qu’un grand violon ?

MOI. — Il me semble que les talents agréables, même médiocres, chez un peuple sans mœurs, perdu de débauche et de luxe, avancent rapidement un homme dans le chemin de la fortune.

LUI. — Sans doute, de l’or, de l’or ; l’or est tout, et le reste sans or n’est rien. Aussi, au lieu de lui farcir la tête de belles maximes qu’il faudrait qu’il oubliât, sous peine de n’être qu’un gueux, lorsque je possède un louis, ce qui ne m’arrive pas souvent, je me plante devant lui. Je tire le louis de ma poche, je le lui montre avec admiration, je lève les yeux au ciel, je baise le louis devant lui ; et, pour lui faire entendre mieux encore l’importance de la pièce sacrée, je lui bégaye de la voix, je lui désigne du doigt tout ce qu’on en peut acquérir : un beau fourreau, un beau toquet, un bon biscuit ; ensuite je mets le