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Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/21

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un bon équipage et il levait le pied pour y monter), de jolies femmes (à qui il prenait déjà ****, et qu’il regardait voluptueusement) ; cent faquins me viendront encenser tous les jours (et il croyait les voir autour de lui : il voyait Palissot, Poincinet, les Fréron père et fils, la Porte ; il les entendait, il se rengorgeait, les approuvait, leur souriait, les dédaignait, les méprisait, les chassait, les rappelait ; puis il continuait :) Et c’est ainsi que l’on te dirait le matin que tu es un grand homme ; tu lirais dans l’Histoire des trois siècles[1] que tu es un grand homme, tu serais convaincu le soir que tu es un grand homme, et le grand homme Rameau s’endormirait au doux murmure de l’éloge qui retentirait dans son oreille ; même en dormant, il aurait l’air satisfait : sa poitrine se dilaterait, s’élèverait, s’abaisserait avec aisance ; il ronflerait comme un grand homme… (Et, en parlant ainsi, il se laissait aller mollement sur une banquette ; il fermait [l]es yeux, et il imitait le sommeil heureux qu’il imaginait. Après avoir goûté quelques instants

  1. Les trois siècles de la littérature française, ouvrage critique de l’abbé Sabatier de Castres 1779, 3 v. in-8.