Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/77

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timide ; j’en ai fait réussir qui n’avaient ni esprit ni figure. Si cela était écrit, je crois qu’on m’accorderait quelque génie.

MOI. — Vous feriez un homme singulier.

LUI. — Je n’en doute pas.

MOI. — À votre place, je jetterais ces choses-là sur le papier. Ce serait dommage qu’elles se perdissent.

LUI. — Il est vrai ; mais vous ne soupçonnez pas combien je fais peu de cas de la méthode et des préceptes. Celui qui a besoin d’un protocole n’ira jamais loin ; les génies lisent peu, pratiquent beaucoup, et se font d’eux-mêmes. Voyez César, Turenne, Vauban, la marquise de Tencin, son frère le cardinal, et le secrétaire de celui-ci, l’abbé Trublet et Bouret ? Qui est-ce qui a donné des leçons à Bouret ? Personne ; c’est la nature qui forme ces hommes rares-là. Croyez-vous que l’histoire du chien et du masque soit écrite quelque part ?

MOI. — Mais à vos heures perdues, lorsque l’angoisse de votre estomac vide, ou la fatigue de votre estomac surchargé éloigne le sommeil…

LUI. — J’y penserai. Il vaut mieux écrire de grandes choses que d’en exécuter de petites. Alors