Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/96

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négociation ! j’étais un butor, un sot, un balourd ; je n’étais bon à rien ; je ne valais pas le verre d’eau qu’on me donnait à boire. C’était bien pis lorsqu’on jouait, et qu’il fallait aller intrépidement, au milieu des huées d’un public qui juge bien, quoi qu’on en dise, faire entendre mes claquements de mains isolés, attacher les regards sur moi, quelquefois dérober les sifflets à l’actrice, et ouïr chuchoter à côté de soi : « C’est un des valets déguisés de celui qui… Ce maraud-là se taira-t-il !… » On ignore ce qui peut déterminer à cela ; on croit que c’est ineptie, tandis que c’est un motif qui excuse tout.

MOI. — Jusqu’à l’infraction des lois civiles ?

LUI. — À la fin cependant j’étais connu, et l’on disait : « Oh ! c’est… » Ma ressource était de jeter quelques mots ironiques qui sauvassent du ridicule mon applaudissement solitaire, qu’on interprétait à contre-sens. Convenez qu’il faut un puissant intérêt pour braver ainsi le public assemblé, et que chacune de ces corvées valait mieux qu’un petit écu ?

MOI. — Que ne vous faisiez-vous prêter main-forte ?

LUI. — Cela m’arrivait aussi, je glanais un