Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous dérober son extrême musique ; vous le rapprocherez de la conversation noble et simple, et vous aurez fait un grand pas, un pas bien difficile. Parce que Racine fait toujours de la musique, l’acteur se transforme en un instrument de musique ; parce que Corneille se guindé sans cesse sur la pointe des pieds, l’acteur se dresse le plus qu’il peut ; c’est-à-dire qu’on ajoute au défaut des deux auteurs. C’est le contraire qu’il fallait faire. Voilà, mademoiselle, quelques préceptes que je vous envoie : bons ou mauvais, je suis sûr qu’ils sont neufs ; mais je les crois bons. Garrick me disait un jour qu’il lui serait impossible de jouer un rôle de Racine, que ses vers ressemblaient à de grands serpents qui enlaçaient un acteur, et le rendaient immobile ; Garrick sentait bien et disait bien. Rompez les serpents de l’un, brisez les échasses de l’autre.


VIII

À LA MÊME, À VARSOVIE.
1768.

J’apprends, mademoiselle, tous vos succès avec le plus grand plaisir ; mais en cultivant votre talent tâchez aussi d’avoir des mœurs.

Je n’ai point fait la commission en livres que vous m’aviez donnée, parce que j’ai toujours attendu que M. Dumolard me remît des fonds, ce qu’il ne se presse pas de faire.

Je suis tellement accablé d’affaires, que je suis forcé de vous écrire à Varsovie comme si vous demeuriez à quatre pas de chez moi.

Mon respect à madame votre mère. Encore une fois ce n’est pas assez que d’être grande actrice, il faudrait encore être honnête femme, j’entends comme les femmes le sont dans les autres états de la vie. Cela n’est pas bien rigoureux. Songez quelquefois à l’étrange contraste de la conduite de l’actrice avec les maximes honnêtes dispersées de temps en temps dans son rôle.

Un rôle honnête fait par une actrice qui ne l’est pas me