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Page:Dieu, par Victor Hugo, 1891.djvu/26

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ASCENSION DANS LES TÉNÈBRES.

Sans oser élever la voix, de peur de l’ombre :

— Êtres ! lieux ! choses ! nuit ! nuit froide qui te tais !
Cèdres de Salomon, chênes de Teutatès ;
Ô plongeurs de nuée, ô rapporteurs de tables,
Devins, mages, voyants, hommes épouvantables ;
Thébaïdes, forêts, solitudes ; ombos
Où les docteurs, vivant dans des creux de tombeaux,
S’emplissent d’infini comme d’eau les éponges ;
Ô croisements obscurs des gouffres et des songes,
Sommeil, blanc soupirail des apparitions ;
Germes, avatars, nuit des incarnations
Où l’archange s’envole, où le monstre se vautre ;
Mort, noir pont naturel entre une étoile et l’autre,
Communication entre l’homme et le ciel ;
Colosse de Minerve Aptère, aux pieds duquel
Le vent respectueux fait tomber ceux qui passent ;
Flots revenant toujours que les rocs toujours chassent ;
Chauve Apollonius, vieux rêveur sidéral ;
Ô scribes, qui du bout du bâton augural
Tracez de l’alphabet les ténébreux jambages ;
Époptes grecs, fakirs, voghis, bonzes, eubages ;
Isthme de Suez fermant l’Inde comme un verrou ;
Ô voûtes d’Ellora, croupes du mont Mérou ;
Jean, interlocuteur de l’oiseau Chéroubime ;
Et vous, poëtes ; Dante, homme effrayant d’abîme,
Grand front tragique ombré de feuilles de laurier,
Qui t’en reviens, laissant l’obscurité crier,
Rapportant sous tes cils la lueur des avernes ;
Dompteurs qui sans pâlir allez dans les cavernes
Forcer le hurlement jusque dans son chenil ;