Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/109

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les maladies dominantes. Joignons-y la saleté repoussante des femmes et des enfants, et j’aurai terminé cette triste énumération. Nos conseils sont aussi sages que prudents : vêtements de laine aux phtisiques, frictions aux rhumatisants, l’eau pure et le savon pour tout le monde.

Nous voici en plein délit d’exercice illégal de la médecine, mais notre conscience est en repos, car, si nous ne faisons pas de mal à l’exemple de nos confrères diplômés (ceux de France exceptés), nous n’acceptons aucune rémunération de nos peines, pas même les douze œufs ou la poule offerts d’habitude comme honoraires aux plus célèbres praticiens.

Remèdes et conseils, tout est gratuit ; notre succès est étourdissant. Après avoir donné en public une vingtaine de consultations peu variées, nous sommes forcés de fermer notre. cabinet : nous avons besoin de repos avant de prendre le chemin de Kazbin.

7 mai. — Au sortir du charmant village de Khorcmdereh, le sentier de caravane côtoie de longs marais vaseux formés par des accumulations d’eaux fluviales. Un chemin établi en remblai au-dessus du sol traverse ces bas-fonds, toujours noyés pendant l’hiver ; la terre s’étant écroulée en certains points, la voie se trouve réduite à un passage étroit, dangereux a traverser à cheval. Le mollah et l’aga, absorbés par une intéressante dissertation sur les miracles de l’ imam Rezza de Mechhed, — la bénédiction d’Allah soit sur lui ! — au point d’oublier le mauvais état de la route, se sont lancés ensemble sur la chaussée : les charges se sont accrochées, la monture de l’aga a glissé, et ce digne personnage est allé se piquer dans les vases du marécage, à la satisfaction de la caravane tout entière.

Ali lui-même, en voyant son maître sain et sauf, mais en tout semblable à une grosse grenouille verte, n’a pu retenir un éclat de l’ire bruyant et argentin ; l’aga s’est retourné et, heureux d’avoir un motif plausible de se fâcher, a appliqué sur la joue de son pichkhedmet la gifle la plus sonore que j’aie jamais entendue.

L’enfant n’est pas habituée à de semblables traitements et, bien qu’elle se reconnaisse coupable et ne dénie pas à l’aga le droit de la châtier, elle pousse des cris déchirants et vient en courant s’accrocher à l’arçon de ma selle, où elle se croit à l’abri de nouvelles représailles.

Elle est bien changée, la pauvre petite, depuis notre départ de Tauris. Ses belles joues roses ont pris une teinte grise, ses formes arrondies ont disparu, les lèvres ne sourient plus, excepté cependant quand son maître tombe de cheval ; ces seize jours de marche l’ont fatiguée au point que, renonçant à conduire le kadjaveh de ses maîtresses, elle a du monter sur un de ces petits ânes hauts comme de gros chiens, qu’enjambent les muletiers quand ils sont las et sur lesquels ils s’endorment en étreignant de leurs bras le cou de l’animal.

« Peder Soukhta ! (Fils de père qui brûle aux enfers), tu m’as frappée ! murmure Ali ; eh bien, je vais raconter aux Faranguis de quelle manière l’imam Rezza — que la bénédiction de Dieu soit sur lui ! — a exaucé tes prières.

« L’aga vient d’être bien injuste à mon égard ; je lui ai cependant rendu de grands services au cours de son premier pèlerinage a Mechhed. Il ne m’a point récompensée de mes peines, cela va de soi, mais il ne se souvient même plus de mon dévouement. Ah ! le vilain avaricieux. Si le soleil était sur la nappe a la place de son pain, personne dans le monde n’y verrait clair jusqu’au jour de la résurrection.

— Comment oses-tu parler avec aussi peu de respect de cet homme pieux qui entreprend avec sa nombreuse smala le long pèlerinage de Mechhed ?

— Il ferait beau voir qu’il se dispensât d’aller remercier l’imam auquel il doit les nombreux petits batchas (enfants) que vous voyez dans les kadjavehs des khanoums !

« Mon maître possède un gros village dans les environs d’Ourmiah, c’est là que nous habitons. De nombreux kanots fertilisaient une terre produisant en abondance du blé et du