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Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/124

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portent toutes un costume uniforme. Riches et pauvres passent, avant de sortir, de vastes chalvars (pantalons à pieds) et s’enveloppent dans les immenses plis d’un tchader (tente) gros bleu. Ce manteau est jeté sur la tête et retenu par un roubandi (lien de figure blanc) fait d’étoffe épaisse et descendant jusqu’aux genoux. Un grillage à mailles serrées ferme en partie une fente fort étroite ouverte à la hauteur des yeux. Quand une femme est ainsi empaquetée, fût-elle jeune ou vieille, grasse ou maigre, imberbe comme l’enfant qui vient de naître ou barbue comme un sapeur, bien jaloux serait celui qui la reconnaîtrait.

Auprès de la porte de l’imamzaddè j’ai aperçu un escalier conduisant à une terrasse. Il faut gagner ce point culminant si je veux assister à la sortie de l’office du vendredi. D’abord nul ne fait attention à nous, mais bientôt la prière se termine, un vieux mollah aux traits durs et sévères paraît dans la cour et, sur les indications d’autres prêtres, tourne les yeux vers l’étroite retraite où nous avons casé notre « impureté ». Le vieillard grimpe le rapide escalier ; quelle n’est pas ma surprise quand, au lieu d’être invités à déguerpir au plus vite, il nous offre de visiter le tombeau récemment restauré !

L’édifice est carré ; au-devant de sa façade principale, décorée de mosaïques, un porche hypostyle dont les colonnes sont revêtues de losanges de glace donne accès dans le sanctuaire. Au milieu d’une salle tapissée d’ornements de glaces biseautées se détachant sur un fond de stuc blanc, se trouve un grand sarcophage doré ; il repose directement sur le sol et est entouré d’une grille d’argent portant aux quatre angles de grosses boules de même métal. Cette décoration simple et brillante tout à la fois est du plus heureux effet. Des tapis étendus sur le dallage, des lampes de cuivre suspendues à la coupole, quelques versets du Koran écrits en beaux caractères et attachés à la grille du tombeau, des lambeaux de vêtements déposés sur le sarcophage comme ex-voto parent le sanctuaire, dans lequel se presse une foule recueillie. Les fidèles entrent après avoir déposé leurs babouches à la porte, s’agenouillent, inclinent la tète jusqu’à terre, se relèvent, posent les mains sur la grille d’argent et font trois fois le tour du sarcophage dans la même position. Aux angles ils baisent pieusement la boule après l’avoir touchée de leur front, tout en marmottant entre leurs dents des prières arabes dont la plupart d’entre eux ne comprennent pas le sens ; puis ils se retirent à reculons, en faisant à chaque pas une profonde inclination. Près du tombeau, deux petites salles sont réservées aux desservants de l’imamzaddè. Les murailles sont dorées ; sur le fond métallique se détachent de charmantes arabesques rouges, bleues, vertes, harmonisées par le jour discret que laisse pénétrer une verrière colorée. Dans la direction de la Mecque se trouve le mihrab, couvert d’une longue draperie dissimulant un portrait dont on ne voit que le cadre.

Sur ma demande on lève le voile, et j’aperçois une peinture d’une exécution des plus médiocres. Elle représente un homme aux traits accentués, coiffé d’un haïk retenu autour du crâne par une corde de poil de chameau et vêtu d’une robe de laine brune. L’image reproduit très exactement le type des chefs de caravanes arabes. C’est, paraît-il, un portrait de Mahomet : il est très singulier de le retrouver dans une mosquée, la religion musulmane interdisant la reproduction de la figure humaine.

On nous fait asseoir, et le bon mollah notre introducteur nous prie d’attendre quelques instants le café préparé à notre intention.

« Puisque ma bonne étoile m’a conduit chez un savant mouchteïd, je ne me déciderai pas à vous quitter sans vous demander quelques renseignements sur la doctrine que vous enseignez, a dit mon mari.

— Je serai heureux de répondre à vos demandes, répond le chef du collège de prêtres : les questions religieuses sont l’objet de nos constantes études, et les discussions théologiques forment le sujet de nos entretiens journaliers. En développant devant vous les beautés de la