Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/129

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« Le Koran ordonne de jeûner pendant le mois de Ramazan, où l’ange Gabriel remit à Mahomet le livre sacré. En ce saint temps nous devons nous abstenir de manger, de boire, de fumer et même, suivant quelques casuistes, de respirer des odeurs agréables, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, Les femmes enceintes ou nourrices, les enfants qui n’ont pas encore atteint quatorze ans et enfin les gens qui voyagent pour leur agrément sont seuls exempts de cette obligation, mais ils doivent y suppléer par une aumône ou une œuvre pie.

« La charité est encore plus rigoureusement ordonnée aux musulmans que l’observation du jeûne : rien ne saurait dispenser de la pratique d’une vertu que Mahomet a déclarée obligatoire. Néanmoins les aumônes sont divisées en deux classes : les unes sont volontaires ; les autres peuvent être perçues de force et pèsent sur les individus avec la plus grande équité ; cette imposition, calculée à raison de deux et demi pour cent du revenu, frappe les biens des musulmans payant une taxe depuis plus de onze mois. Aux premiers temps de l’Islam elle était remise au Prophète et affectée à l’entretien de sa maison et de ses armées. Encore aujourd’hui en Perse, les seïds ses descendants, dont le nombre est très considérable, ont le droit de toucher la dîme, d’ailleurs presque toujours remise dé gré à gré. Quant à l’aumône volontaire, elle est considérée comme un des plus sûrs moyens de gagner le ciel.

« Enfin le pèlerinage de la Mecque est ordonné à tout fidèle qui a un cheval et les moyens de faire le voyage. Ceux que leur santé empêche d’entreprendre une aussi longue pérégrination doivent y envoyer à leurs frais un représentant. Je dois ajouter que mes coreligionnaires ont été forcés d’abandonner le pèlerinage de la Mecque, les Sunnites gardiens de la Kaaba les obligeant, avant d’y entrer, à aller prier sur les tombeaux des trois premiers khalifes et à reconnaître comme héritiers légitimes de Mahomet les assassins des descendants d’Ali. Voilà l’exposé sommaire de notre doctrine. La loi religieuse et administrative est renfermée, vous le savez déjà, dans le Koran, livre composé dans un dialecte arabe si pur qu’il eût été impossible à un homme de l’écrire sans avoir reçu l’inspiration divine. Nous trouvons dans ses versets les préceptes nécessaires non seulement pour nous diriger dans la voie du bien, mais encore pour juger toutes nos contestations judiciaires, et n’avons jamais recours à l’autorité des premiers interprétateurs de la loi musulmane, Hannifa., Malek, Chaffi et Hambal, les quatre piliers de la foi sunnite, piliers de boue et de paille que renverserait un chien galeux du simple frôlement de son épaule.

— Le Koran est en effet un recueil de conseils sages et prudents, répond mon mari, et j’admire beaucoup les pages où le Prophète parle de la Divinité avec une éloquence et une ferveur poussées jusqu’à l’exaltation : mais d’un autre côté il est regrettable que certains versets puissent donner sujet à des interprétations opposées et qu’on retrouve dans le Koran la trace des préoccupations matérielles de Mahomet. Votre Prophète songe trop, semble-t-il, à satisfaire ses passions, ses intérêts et à assurer l’avenir de ses descendants.

— Vous êtes un égaré, et ne pouvez pénétrer les mystérieuses pensées de Dieu. D’ailleurs le Koran n’est pas l’œuvre de Mahomet, mais celle d’Allah. Comment voulez-vous donc admettre que Dieu, infaillible en son essence, se soit trompé ? Toutes vos prétendues sciences européennes vous font perdre de vue le but de notre vie et obscurcissent vos idées. Les versets que les infidèles ne peuvent entendre, dont nous entrevoyons à peine le sens après avoir passé notre vie à prier et à méditer : Mahomet, éclairé de l’esprit saint, les comprit sans peine. Instruisez-vous, passez vingt ans à Kerbéla, approfondissez les livres sacrés, et vous serez alors persuadés du néant de votre savoir et de la sublimité de notre religion. »

Marcel n’a pas le temps, avant son retour en France, de mettre à profit les sages conseils du mouchteïd, aussi abandonne-t-il la controverse.