Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/26

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au pied de l’Ararat et conduisait jusqu’à Tauris, la capitale de l’Azerbéidjan (l’Atropatène des Grecs). Elle traversait d’anciennes cités persanes annexées depuis peu à la Russie et était encore semée de vieux monuments en assez bon état de conservation. Il n’y avait pas à hésiter : bien que la fonte des neiges fermât à peu près l’accès de la montagne et que l’abandon de cette voie par les étrangers rendît les maisons de poste inhospitalières, nous choisîmes la route du Caucase.

PRINCE GEORGIEN (voyez page 10)

J’avais conservé de mes stations prolongées dans les boues neigeuses de Stamboul un rhume suffocant ; pour le couver tout à l’aise, nous louâmes avec enthousiasme une berline à huit chevaux, au lieu de nous contenter des télégas vulgaires. On empila six jours de vivres au fond des caissons, et nous nous mîmes en route munis d’un padarojna impérial, sorte de passeport qui donne le droit de requérir les chevaux de chaque station après que les courriers et les fonctionnaires munis du padarojna général ont été pourvus. À en croire le maître de poste, nous devions atteindre en quatre jours la frontière persane.

Au début, tout alla à souhait. La lourde berline roulait comme un ouragan de coteaux en vallées. Au son de la trompe retentissante du courrier tous les convois se garaient et laissaient la voie libre ; nous dépassâmes notamment, en les regardant d’un œil et d’un cœur dédaigneux, des charrettes légères portées sur quatre roues solides, surmontées d’un capotage de toile posant sur des arcs de bois. Dans le fond de ces véhicules rustiques s’empilaient des officiers allongés sur des piles de coussins et de matelas. Combien je regrettai plus tard mon orgueil déplacé !

Le lendemain du départ le décor changea : au lieu de nous donner des chevaux, les valets d’écurie remisèrent la voiture dans la cour de la maison. Le courrier nous avait été fortement recommandé, sous prétexte qu’il parlait l’italien et le persan. Je lui adressai tour à tour la parole dans la langue de Fénelon, de Dante et de Saadi ; il me répondit un invariable sitchas (tout de suite) et un non moins invariable niet (il n’y a rien). À ces gestes je finis néanmoins par comprendre que la poste avait à notre disposition trois chevaux fourbus. Il fallait attendre le retour de plusieurs convois et laisser aux animaux fatigués le temps de se reposer. Engourdis par une immobilité de plus de vingt-quatre heures passées au fond d’une berline fort mal suspendue et plus mal rembourrée s’il est possible, nous ne nous fîmes pas demander à deux genoux de mettre pied à terre.

On déchargea les menus bagages, les provisions de ménage, et l’on porta le tout dans une grande pièce badigeonnée à la chaux aux temps fabuleux d’Ivan le Terrible. Le mobilier se