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fidèlement étudiés ; il est, regrettable que l’artiste, préoccupé de rendre le chatoiement des magnifiques étoiles d’or et les feux des pierres précieuses, ait traité sous jambe les danseuses placées au premier plan.

Entre ces grandes compositions et le lambris s’étend une frise de petits tableaux représentant des scènes de la vie domestique. Ces compositions sont peintes avec une certaine grâce et fournissent d’intéressants documents pour l’histoire du costume persan sous les sous.

Les Tcheel-Soutoun ne sont plus habités ; aujourd’hui pourtant la grande nef abrite de nombreux ouvriers occupés à coudre de superbes tentes de soie rouge, jaune et verte, destinées au prince Zellè sultan. Chacun travaille en silence et n’interrompt son ouvrage que pour faire sa prière à l’appel des mollahs ou prendre de temps à autre le thé, qu’un gamin fait circuler à la ronde.

Mirza Taghuy khan nous sert de cicerone pendant toute la durée de notre visite aux Tcheel-Soutoun. Dans l’espoir de faire faire son portrait équestre, il a revêtu un brillant uniforme et se trouve un peu gêné par une longue épée qui s’insinue au moindre mouvement dans les jambes de ses voisins ; mais il reprend courage sur son cheval de bataille.

Son costume tout doré est celui des sartips ou généraux de première classe. Il ne faudrait pas supposer, en voyant notre ami porter le harnais des chefs de guerre, qu’il soit amoureux de Bellone : non, son humeur est pacifique ; et s’il est général, c’est que ce titre purement honorifique est donné en Perse, comme en Russie, à tous les hauts fonctionnaires civils et même aux militaires.

Outre ses nombreuses fonctions, le général-docteur est chargé de rédiger le journal d’Ispahan, moniteur du gouverneur de l’Irak. Il doit être d’autant plus honoré de cette haute preuve de la confiance du prince Zellè sultan, que le chah lui-même n’a jamais osé livrer à un de ses serviteurs la direction de l’esprit public, et qu’il s’astreint à écrire le journal officiel de sa propre main, quitte à abandonner la rédaction de la gazette littéraire à son premier ministre.

Mirza Taghuy khan aspire, je crois, à joindre à tous ces titres celui de recteur des Facultés d’Ispahan.

Comment ne pas dire un mot de cette Université, bien qu’il ne nous ait pas été donné d’apprécier le savoir des étudiants, envoyés eu vacances durant tout l’été ?

À l’exemple du roi son auguste père, le chahzaddè fait de louables efforts en vue d’organiser des écoles et de réagir contre les traditions cléricales qui donnent à la science théologique la première place dans l’enseignement. Tout serait au mieux si les élèves de la médressè n’étaient aussi rares que les maîtres. Les cours de physique, de mathématiques, d’histoire et de langues étrangères sont professés avec un égal mérite par un jeune savant livré tout le jour aux rêves enivrants que procure l’opium. Cet émule de Pic de la Mirandole, j’ai le regret d’en convenir, a fait son éducation à Paris et à Londres ; mais, au lieu de s’instruire et de chercher a développer son intelligence au contact des Occidentaux, il s’est empressé, comme bon nombre de Persans venus en Europe, de greffer sur les vices communs aux Asiatiques nos plus détestables défauts.

Maître et élèves de l’Université d’Ispahan sont logés dans un ravissant pavillon situé au milieu de vastes jardins confinant a ceux des Tcheel-Soutoun. Ce palais d’été, élevé jadis par Fattaly chah, porte le nom de Hacht-Bechet (Huit-Paradis), parce qu’il contient, outre les appartements royaux, quatre corps de logis à deux étages, destinés aux huit favorites du roi.

Quand on se rend des Tcheel-Soutoun aux Hacht-Bechet, on longe d’abord un bassin qui