Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/321

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khalife abbasside Almansour, et admiré les belles inscriptions kouliques placées autour d’un vieux mihrab restauré au XVC siècle, nous pénétrons enfin dans les galeries latérales, d’où la vue embrasse la cour entière.

Les différentes adjonctions ou restaurations exécutées à l’époque de Malek chah, prince seljoucide, de chah Tamasp, dont le zèle pieux a amené la détérioration de tous les temples de l’empire, et enfin sous le règne d’Abbas 11 le Séféviè, enlèvent toute valeur artistique à cet antique sanctuaire, relégué d’ailleurs au second rang depuis la construction de la masdjed Chah. Néanmoins la mosquée cathédrale est en grand renom dans Ispahan et a conservé son titre et ses prérogatives. C’est dans l’enceinte de la masdjed djouma que se célèbre tous les vendredis l’office royal en souvenir du départ de Mahomet pour Médine. D’après la loi religieuse, le chah devrait en cette circonstance faire à haute voix la prière solennelle. Comme à ses nombreux privilèges il ne joint pas le don de l’ubiquité, il délègue à un de ses représentants, désigné sous le nom d’ « imam djouma », l’honneur de remplir en son nom ce pieux devoir dans les principales villes de l’empire. Après la prière, les mollahs lisent ou expliquent le Koran, et la journée tout entière est consacrée à de saints exercices, bien qu’il ne soit imposé aux fidèles aucune obligation particulière.

C’est une fatalité ! Nous ne serons pas entrés dans une mosquée d’ispahan sans y avoir éprouvé quelque désagrément ! Grâce à l’état d’éticité auquel nous ont réduits les fatigues et la chaleur, grâce à la précaution que nous prenons de tenir nos mains accrochées aux montants de l’échelle, de manière à peser le moins possible sur les barreaux, nous arrivons à terre sans accident : il n’en est pas de même de notre excellent ami le P. Pascal. Plus habile à caracoler sur un beau cheval qu’à faire de la gymnastique, il pose, malgré nos avis, ses pieds au milieu des barreaux. Pleins d’anxiété, nous suivons des yeux les péripéties de sa descente ; un craquement se fait entendre,. un des échelons vient de se briser il l’une de ses extrémités. Le Père se trouve un instant suspendu dans le vide ; d’une main vigoureuse il s’accroche aux montants et prend pied sur le sol sans mal apparent.

Les mollahs, dissimulant à grand’peine leur joie sous des témoignages d’intérêt, entourent le khalife, qui, malgré sa pâleur, fait bonne contenance, et donnent l’ordre de chercher le propriétaire de l’échelle, afin de lui payer à coups de bâton la location de son engin ; on ne le trouve pas, bien entendu, et nous nous mettons en selle avec l’intention de regagner I) joui fa.

«  J’ai une écorchure à la jambe ; elle me fait souffrir plus que je n’ai voulu l’avouer devant ces mécréants, me dit le Père au bout de quelques instants ; entrons chez l’un de mes meilleurs amis, il me donnera de l’eau fraîche pour laver ma blessure. »

La maison dans laquelle nous pénétrons s’étend sur les quatre cotés d’une cour spacieuse. Le lalar élevé au centre de chaque façade est flanqué à droite et à gauche de vestibules blanchis à la chaux. La pièce de réception est couverte d’une coupole ornée de lins alvéoles exécutés en plâtre comme la décoration des takhtchès disposés tout autour de la salle. Une verrière colorée ferme la baie du talar et laisse pénétrer à l’intérieur de l’appartement un demi-jour discret.

Un homme à la physionomie fort douce est assis sur des coussins au milieu de livres épars. A ma grande surprise, il est coiffé de ce sinistre turban bleu dont l’apparition est toujours de si mauvais augure. Le maître de la maison se lève d’un air empressé, écoute avec intérêt le récit de l’accident arrivé au Père et donne l’ordre d’apporter un bassin à laver, une aiguière et quelques plantes médicinales destinées à faire rapidement sécher les blessures. Pendant qu’il s’apprête à panser lui-même la plaie, il invite ses petits enfants à me conduire auprès de leur mère.