Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/60

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mains, se tait ou cause s’il en trouve l’occasion, accepte le thé si on le lui offre, et, quand il se retire, nul ne pense à l’interroger. En raison de cet usage, la foule afflue toujours dans les cours, certaine de prendre sa part des distractions gratuites et variées que lui procure la vie du palais. Tantôt ce sont les dernières bouffées d’un kalyan que le plus pauvre gamin est admis au bonheur d’aspirer, ou bien c’est une tasse de café volée au détour d’une porte. C’est encore la bastonnade qu’on voit administrer au voleur maladroit pris la veille au bazar, ou au général chargé de passer la prochaine revue. Les jours de grandes fonctions, comme disent les Espagnols, on distribue les présents du Norouz (nouvel an), on reçoit un noble Farangui, on prive d’un nez ou d’une oreille quelque bandit pris les armes à la main. La vue d’un supplice est une fête pour un Oriental. Ne crions pas à la barbarie : la Perse est aujourd’hui plus civilisée que l’Espagne du dix-huitième siècle offrant en spectacle à la foule, aux jours de réjouissance, un bel autodafé où brûlaient par douzaines juifs et mécréants.

La coutume commune à tous les grands personnages de s’entourer d’une foule nombreuse comparable à la clientèle romaine les rend d’un abord facile. Il n’est besoin d’aucune formalité pour s’approcher des gouverneurs, des ministres. Le roi lui-même est aisément accessible, et on peut lui demander justice ou protection, lui faire sa cour en toute occasion, admirer la sagesse de ses paroles, l’élégance de ses discours, suivant en cela le précepte de Saadi, qui pourrait servir de préface au manuel du parfait courtisan : Chercher un avis contraire à celui du sultan, c’est se laver les mains avec son propre sang. S’il dit en plein jour : « Ceci est la nuit », il faut répondre : « Voici la lune et les Pléiades ».

Cette facilité de voir de près et de causer sans crainte avec des hommes élevés par leur intelligence ou la faveur royale au-dessus du vulgaire contribue à donner aux gens du peuple une aisance de manières et une forme polie dans le langage, qui les rend, à ce point de vue, très supérieurs aux hommes des classes inférieures de nos pays. Grâce à cette bonne éducation, les Persans sont de relations agréables et d’un commerce facile jusqu’à ce qu’une occasion se présente de traiter avec eux quelque affaire d’intérêt. Alors se révèlent subitement leur instinct d’intrigue, leur âpreté au gain, et se refroidissent en même temps les bons sentiments que leur esprit et leur amabilité inspirent tout d’abord.

Ce raffinement, de politesse rend les formes de la langue persane « élégante » très difficiles à apprendre. Marcel commence à se faire comprendre, mais il s’exprime comme un grossier personnage ; en outre, son accent est détestable. Il va prendre quelques leçons avec le mirza du consulat, un vrai lettré, afin de corriger ou tout au moins d’améliorer la prononciation des mots les plus usuels.


Tasse a café persane