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Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/62

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Ce même consul fut, l’année dernière, le héros d’une glorieuse aventure, dont on rit encore dans les bazars de Tauris.

Il avait voulu se rendre à Constantinople par la voie de Trébizonde, plus facile à parcourir en hiver que celle du Caucase.

Ses collègues avaient tenté de l’en dissuader, lui représentant combien il était dangereux de traverser le Kurdistan.

« Les Kurdes, avait-il répondu, sont sujets turcs et trembleront devant le représentant du commandeur des croyants. »

Aucune crainte n’ayant pu pénétrer dans ce cœur valeureux, le consul partit avec une quarantaine de serviteurs montés sur de magnifiques chevaux destinés au service du sérail.

À peine la petite troupe eut-elle franchi la frontière persane, qu’elle fut assaillie par une douzaine de brigands ; toute résistance fut inutile, et les Kurdes s’approprièrent chevaux, bagages, armes et vêtements. Au moment où ils arrachaient la chemise de l’Excellence, ils furent pris d’un tel effroi à la vue des charmes surabondants du diplomate, qu’ils se sauvèrent a toutes jambes, lui abandonnant ce dernier voile : faiblesse impardonnable chez des hommes de tribu, certains de tailler dans ce large vêtement une tente capable d’abriter une nombreuse famille.

Quant à l’effendi, il prit la chose par le bon côté :

« J’avais bien dit à mes collègues que la majesté du représentant de Sa Hautesse frapperait d’une respectueuse terreur les cœurs les plus endurcis. »

Nous avons été présentés également aux consuls de Russie et d’Angleterre. Mrs Abbott me vante avec enthousiasme les charmes de la vie à Tauris. Enfermée dans l’étroit quartier arménien, elle ne peut franchir les portes de la ville à visage découvert sans provoquer l’attroupement d’une foule avide de regarder une femme non voilée. Le seul moyen, paraît-il, de passer inaperçue et de circuler librement est d’adopter le costume musulman, sacrifice des plus répugnants à une chrétienne.

16 avril. — La ville renferme peu de monuments anciens, mais ceux qu’elle possède sont très remarquables. Le plus intéressant est sans contredit la mosquée Bleue, construite au quinzième siècle, sous Djehan Chah, sultan mogol de la dynastie des Moutons-Noirs.

Ce bel édifice mérite d’être étudié au point de vue de ses dispositions générales, de la grandeur imposante de sa façade principale, de l’élégance de ses formes, du fini et de la coloration des magnifiques mosaïques de faïence dont il est revêtu. Combien il est regrettable que les coupoles, ébranlées par un tremblement de terre, se soient écroulées, entraînant dans leur chute les murs lézardés, et couvrant d’un amoncellement de matériaux le sol des cours intérieures ! Les habitants ont puisé sans scrupule dans ces ruines pour construire leurs maisons ; personne n’a songé à arrêter cet acte de vandalisme, car, la mosquée ayant été élevée par la secte sunnite, les Persans chiites voyaient avec bonheur disparaître les derniers débris d’un monument qui leur rappelait une hérésie odieuse. L’exécration des deux sectes musulmanes est d’ailleurs bien réciproque. « Il y a plus de mérite à tuer un Persan chiite qu’a détruire soixante-dix chrétiens », assurent les oulémas ottomans.

La mosquée était précédée d’une grande cour entourée d’arcades et ornée au centre d’un vaste bassin à ablutions. Aujourd’hui tout cela est détruit, des maisons se sont élevées sur l’ancien emplacement des cours, et une route de caravanes passe au pied des gradins conduisant à la porte principale. Cette baie se dresse sur une plate-forme et se résume dans un grand arc de forme ogivale, entouré d’un tore de faïence bleu turquoise s’allongeant en spirale jusqu’au sommet de l’ogive.

Les faces intérieures du portique sont ornées de ravissantes mosaïques de faïence taillées au