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Page:Dieulafoy - La Perse, la Chaldée et la Susiane.djvu/66

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recouverts en entier de faïence émaillée. La seconde, où se trouve le mihrab, est revêtue de plaques bleues taillées en petits hexagones. Leur émail ladjverdi (bleu foncé), réchauffé par des arabesques d’or, fait valoir la blancheur éburnéenne des lambris d’agate rubanée que termine à leur partie supérieure une large inscription en caractères arabes entrelacés de légères guirlandes de fleurs et de feuillages. Ces magnifiques dalles, extraites des carrières voisines du lac Ourmiah, sont encore intactes aujourd’hui : leur poids et leur dureté les ont préservées de toute détérioration. La partie sacrée de l’édifice respire dans sa magnificence un calme et une sévérité imposants, qui contrastent avec l’ornementation plus claire et plus brillante du vaisseau précédent.

Tout autour de la mosquée s’étend jusqu’au mur d’enceinte un vaste cimetière sunnite, aujourd’hui abandonné.

17 avril. — Mr Audibert, chancelier du consulat, est venu se mettre à notre disposition de la manière la plus obligeante et nous a offert de nous piloter à travers le dédale des bazars et des faubourgs. En chemin s’est présentée la citadelle.

Cette imposante masse de maçonnerie, haute de vingt-cinq mètres, qu’on aperçoit longtemps avant d’arriver à Tauris, occupe le centre d’une vaste esplanade défendue par une enceinte polygonale flanquée de tours et entourée de fossés larges et profonds, aujourd’hui en partie comblés. Les parements des murs sont dressés avec une telle habileté que les joints verticaux des briques se projettent, quand on les regarde obliquement, suivant des lignes parallèles toutes équidistantes entre elles. Autour de cette grande ruine se groupent des bâtiments militaires de construction récente, occupés par le casernement de la garnison de Tauris, et une fonderie de canons aujourd’hui inactive, en escalier délabré conduit à la plate-forme, recouverte de deux loggias servant d’abri aux vigies chargées de signaler les incendies.

De ce poste d’observation la vue est très belle. Au loin, les plaines déjà vertes s’étendent jusqu’aux premiers contreforts des montagnes neigeuses ; à nos pieds, les maisons de terre de la ville se cachent sous les fleurs blanches et roses des arbres fruitiers ; seules les coupoles des bazars, des caravansérails et des mosquées émergent d’un fouillis de feuilles naissantes.

Dans le lointain j’aperçois un tumulus étendu entouré de quelques villages. Les ruines de la mosquée de Gazan khan, élevée au centre de l’ancienne Tauris, se cachent sous cet amoncellement de terre. Depuis six cents ans la cité s’est avancée de plus de douze kilomètres et tend tous les jours à se rapprocher de la rivière. Les faubourgs abandonnés, les tumulus, les anciens cimetières, sont autant de témoins qui jalonnent le déplacement progressif de Tauris.

Ces mouvements particuliers à toutes les villes d’Orient sont la conséquence forcée des mœurs du pays : l’usage de voiler les femmes quand elles sortent et de les cacher à tous les yeux, même chez elles, oblige les musulmans à construire des habitations doubles, s’éclairant sur de vastes cours et comprenant dans leur enceinte des jardins destinés à laisser respirer à l’aise les compagnes ou les filles du maître du logis. Dans ces conditions, les dépendances absorbant toute la place disponible, les pièces dont se compose l’habitation sont peu nombreuses et à peine suffisantes pour une seule famille et ses serviteurs. Au moment de leur mariage, les fils quittent la maison paternelle et font construire dans le quartier à la mode une demeure nouvelle ; à la mort de leurs parents ils louent, s’ils le peuvent, l’ancienne habitation de famille ; dans le cas contraire, ils se contentent d’enlever les boiseries. Les terrasses et les murs de terre, abandonnés, ne tardent pas à subir les influences climatologiques ; peu à peu les quartiers écroulés sont nivelés par la charrue, tandis que