Page:Diogène Laërce - Vies, édition Lefèvre,1840.djvu/80

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Démétrius de Byzance dit que Criton le tira de sa boutique et qu’il s’appliqua à l’instruire, étant charmé des dispositions de son esprit. Mais Socrate, voyant que la physique n’intéresse pas beaucoup les hommes, commença à raisonner sur la morale et en parlait dans les boutiques et sur les marchés, exhortant chacun à penser

à ce qu’il y avait de bon ou de mauvais chez lui.

Souvent il s’animait en parlant jusqu’à se frapper lui-même et à se tirer les cheveux : cela faisait qu’on se moquait de lui ; mais il souffrait le mépris et la raillerie jusque là que, comme le rapporte Démétrius, quelqu’un lui ayant donné un coup de pied, il dit à ceux qui admiraient sa patience : Si un âne m’avait donné une ruade, irais-je lui faire un procès ?

Il n’eut pas besoin, pour éclairer son esprit, de voyager, à l’exemple de beaucoup d’autres ; et excepté lorsque la guerre l’a appelé hors de chez lui, il se tenait dans le même lieu, ayant des conversations avec ses amis, moins dans le dessein de combattre leur opinion que dans la vue de démêler la vérité. On dit qu’Euripide lui ayant donné à lire tin ouvrage d’Héraclite, lui demanda ce qu’il en pensait ; Ce que j’en ai compris, lui répondit-il, est fort beau, et je ne doute pas que le reste, que je n’ai pu concevoir, ne soit de la même force ; mais, pour l’entendre, il faudrait être un nageur de Délos[1].

Socrate était d’une bonne constitution, et avait beaucoup de soin de s’exercer le corps ; il fut à l’expédition d’Amphipolis, et, dans une bataille qui se donna près de Délium, il sauva la vie à Xénophon qui était tombé de son cheval ; et quoique le mauvais succès du combat eût obligé les Athéniens de prendre la fuite, ? il se retira au petit pas, regardant souvent derrière lui, pour faire face à ceux qui auraient pu vouloir le surprendre. II servit aussi sur la flotte qu’on

  1. II était difficile d’aborder à l’île de Délos en nageant. De là est venu ce proverbe pour exprimer une chose difficile ; il faisait allusion à l’obscurité d’Hippocrate. Adages d’Erasme, page 1379.