Page:Discours de M. Gambetta prononcé à Bordeaux le 26 juin 1871.djvu/15

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Messieurs, ces idées ne m’appartiennent point. Elles sont familières à tous les penseurs, à tous les patriotes. Le propre de la politique est de s’emparer de ces idées essentiellement justes et de les fixer dans les lois. Oh ! les politiques qui inventeraient, qui auraient la prétention de faire des choses inopinées, imprévues, ne seraient pas des politiques ! Qu’il y a d’années que l’ignorance est combattue : et qu’elle est encore épaisse et terrible ! Nous offrons au monde ce spectacle d’avoir été le peuple qui a le premier revendiqué les droits de la raison, et d’être encore réduits à ne les point pratiquer et enseigner pour notre propre compte. (Vive sensation.)

Nous ne pouvons cependant rester plus longtemps insensibles à ce qui s’accomplit sous nos yeux, et ne pas avouer que toutes nos crises sociales viennent de l’ignorance. Comment admettre que des hommes qui ne connaissent la société que par le côté qui les irrite, que par la peine et que par le travail, un travail sans lucre suffisant, sans récompense légitime, ne s’aigrissent pas dans les misères, et n’apparaissent pas à un jour donné sur la place publique avec des passions effroyables ? Aussi, je déclare qu’il n’y aura de paix, de repos et d’ordre qu’alors que toutes les classes sociales auront été amenées à la participation des bienfaits de la civilisation et de la science, et considéreront leur gouvernement comme une émanation légitime de leur souveraineté et non plus comme un maître jaloux et avide. Jusque-là, en persévérant dans la voie funeste où nous sommes, vous ferez des ignorants, tantôt les soutiens des coups d’État, et tantôt les auxiliaires des violences de la rue, et nous resterons exposés aux fureurs impies de multitudes inconscientes et égarées, portant la main sur tout ce qui les environne, sans respect même pour les choses de leur tradition, parce qu’elles ne peuvent arriver à la satisfaction d’appétits impossibles, et qui cherchent à se venger en accumulant les ruines. Alors, il est bon de se rappeler le mot de l’Américain Channing : « Les sociétés sont responsables des catastrophes qui éclatent dans leur sein, comme les villes mal administrées où on laisse pourrir les