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III


Mrs. de Peauharnais et Hocquart.

10 octobre 1730.


Monseigneur,


Dans le séjour que nous avons fait à Montréal, plusieurs particuliers se sont plaint que les seigneurs leur refusaient des concessions dans leurs seigneuries, sous différens prétextes, quoiqu’ils soient obligés par l’arrest du Conseil d’État du mois de juillet 1711, de donner aux habitants celles qu’ils leur demanderont, et en cas de refus qu’ils puissent se pourvoir par devant les gouverneur et intendant du pays, auxquels Sa Majesté ordonne de concéder aux d. habitants les terres par eux demandées. Nous avons l’honneur de vous rendre compte, Monseigneur, qu’à cette occasion il s’est glissé jusqu’à présent plusieurs abus, tant de la part des seigneurs, que de celle des habitants, et qui sont également contraires aux arrests du Conseil d’État de 1711, et à l’établissement de la colonie. Il est arrivé que, quelques seigneurs se sont réservés des domaines considérables dans leurs seigneuries, et que sous prétexte de possession de leur domaine ils refusent de concéder les terres qui leur sont demandées dans le d. domaine et se croyent fondés à les pouvoir vendre, et les ont vendues en effet. Nous avons reconnû aussi, que dans les partages des seigneuries entre cohéritiers, ceux d’entre eux qui n’ont pas le droit de justice ni le principal manoir ne se regardent plus comme seigneurs de fief, refusent de concéder aux habitants les terres qui leur sont demandées dans leur partages, et croyent n’estre point dans le cas de l’arrest du Conseil qui oblige les seigneurs de concéder, et au contraire se croyent en droit de vendre les concessions qu’ils accordent.

Il se trouve un autre inconvénient de la part des habitans, lesquels étant en droit d’exiger des concessions de la part des seigneurs, après en avoir obtenû, les vendent à d’autres dans un petit espace de tems ; ce qui fait une sorte d’agiot et de commerce dans le pays, préjudiciable à la colonie, sans aucune augmentation pour le défrichement et la culture des terres, et entretient la paresse des habitans : à quoy les seigneurs ne s’opposent point, parcequ’ils retirent des lods et ventes de ces concessions ; de cette façon, plusieurs concessionnaires ne tiennent point feu et lieu, et les seigneurs s’embarassent peu de les faire réunir à leur domaine, et s’ils en demandent la réunion, ceux qui sont en possession ne peuvent répéter les sommes qu’ils ont données en payement.

Nous estimons, Monseigneur, qu’en maintenant les arrêts du Conseil d’État de 1711, il conviendrait d’en faire rendre un qui déffendist aux seigneurs, et à tous autres propriétaires, de vendre aucune terre en bois debout, sous quelque prétexte que ce pust estre, à peine contre les seigneurs et propriétaires des d. terres ainsi vendues de nullité des contrats, de restitution du prix de la vente, et d’estre déchus de tous droits et propriété qu’ils auraient pu prétendre sur les d. terres qui seraient de plein droit réunies au domaine du Roy, et de nouveau concédées, en son nom, par nous.

Il est vray en général que les seigneurs concèdent les terres ou paraissent les concéder gratis, mais ceux qui éludent la disposition de l’arrest du Conseil ont besoin de s’en faire payer la valeur, sans en faire mention dans les contrats, ou d’en faire passer des obligations