Page:Doff - Jours de famine et de détresse, 1943.djvu/34

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Nous voilà lamentablement entassés, partis dans l’obscurité, par les routes serpentines, pavées en briques jaunes, de la Hollande. Au delà de Haarlem, nous longeâmes pendant des heures une digue. On ne voyait pas ses doigts devant les yeux et on n’entendait que le mugissement des vagues montant contre les berges et les cris stridents des oiseaux de nuit. La charrette s’arrêtait à chaque instant ; mon père descendait pour voir si nous étions encore au milieu de la digue et parler au cheval qui avait peur. Le danger était grand sur cette étroite bande, éclairée par une lanterne falote attachée à la charrette. Les enfants criaient. Ma mère, comme à chaque danger, récitait l’Évangile de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. » Mon père jurait ; le paysan restait silencieux.

Un choc de la charrette fit tomber le grand moulin à café sur ma figure. Je me mis à hurler ; mais ma mère, qui ne pouvait voir ce qui m’était arrivé, se fâcha et me donna des taloches pour me faire taire. Toute ma figure s’enfla prodigieusement jusqu’à me fermer les yeux. Quand le jour se leva, je recommençai doucement à gémir et dis :

— Mère, regarde-moi, je ne vois presque plus.